J'ai découvert ce disque en feuilletant un livre. Normal et logique. Précisément, le livre était It's Only Rock'n'Roll & Autres Bricoles, anthologie de textes publiés dans Rock'n'Folk entre 1968 et 1973, tous signés de celui qui en deviendra, jusque dans les années 80, son rédacteur en chef, et y a démarré comme simple chroniqueur, Philippe Paringaux. Grand fan de jazz, il avait écrit pour le magazine quelques papiers sur un groupe de jazz-rock fondé en 1969, le Lifetime. Deux articles (dont la critique de l'album) sont dans l'anthologie, et m'avaient furieusement donné envie d'écouter le bouzin. Et de me rendre compte, quelques années plus tard, que je n'avais toujours pas abordé ledit album !! Cet album, double, date de 1969, il s'appelle Emergency ! et c'est le premier des deux albums du Lifetime, l'autre, sorti en 1970, s'appelle (Turn It Over) et je ne sais pas ce qu'il vaut, mais apparemment, il est du même acabit. Le Lifetime, qui n'a donc pas duré très longtemps apparemment, est un groupe fondé par Tony Williams, batteur de jazz prodige (il a démarréà l'âge de 15/16 ans, et en avait dans les 22 ou 23 quand a été fait cet album) ayant joué chez Miles Davis. Il a recruté d'autres musiciens ayant eux aussi joué avec Miles : l'organiste Larry Young et le guitariste John McLaughlin. Le résultat de cette combinaison de talents pareils est immortalisé par ce double album court (70 minutes...mais 8 titres seulement !) et intense.
Verso de pochette vinyle (édition double album), pas une photo perso car je n'ai aucune édition vinyle de cet album, hélas...
En France, il semblerait qu'Emergency ! soit sorti en deux volumes séparés, l'édition double étant alors disponible en import. Soit le distributeur français ne croyait pas qu'un double album se vendrait, soit c'était, au contraire, pour faire plus de ventes, deux albums simples étant vendus, probablement, plus cher qu'un seul double. De toute façon, Emergency ! n'a pas amassé les foules, surtout aux USA. Et malgré la présence de Jack Bruce (basse) sur le second album, celui-ci n'a pas du non plus cartonner... Qu'importe, ça fera certes moins de monde pour vanter les mérites de ce disque culte (considéré comme une des pierres angulaires du jazz-rock), mais au moins, on sera entre membres du culte, c'est déjàça. 8 titres seulement, et trois musiciens seulement, pour ce double album, ou ces deux albums, tout dépend de l'édition vinyle que vous avez, mais rien à jeter, du morceau-titre àSomething Spiritual. Quelques morceaux, rares, sont chantés, par Tony Williams, lequel est, il faut bien l'avouer, infiniment meilleur batteur/percussionniste que vocaliste : Beyond Games, Via The Spectrum Road (morceau remarquable servant, son titre ne ment pas à ce sujet, d'introduction au morceau suivant, le tétanisant Spectrum). En tant que chanteur, c'est surtout du petit spoken-wordà moitié enfoui dans le maelström sonore du Lifetime (on reprochera quelque peu à l'album de ne pas bénéficier d'une production exemplaire, le son étant un peu, je ne dirai pas cafouilleux, mais décevant, parfois, on sent bien que l'album va sur ses 50 ans), et puis, du chant sur un album de jazz, surtout de jazz-rock, pardon, mais c'est idiot.
Un des pans de l'intérieur de pochette (le côté gauche ; l'autre côté est une photo de Williams)
En tant que batteur, nom de Dieu ! Enfin, quiconque a entendu un album de Miles Davis de l'ère 1963/1969, au pif Seven Steps To Heaven, ESP, Filles De Kilimanjaro, In A Silent Way ou bien encore Sorcerer et Miles Smiles, sait à quel point ce jeunot était (car il est, hélas, décédé en 1997, il avait 51 ans) un batteur monumental. Un sens du rythme total. Ses deux compères, l'organiste Larry Young et le guitariste John McLaughlin, on le sait, ne sont pas des manchots non plus, on parlait de Young comme du meilleur organiste de jazz depuis Jimmy Smith, excusez du peu, et quant à McLaughlin, futur membre fondateur et leader du Mahavishnu Orchestra, c'est un guitariste hors-pair, au style sublime, à la technicité ahurissante dans son genre. Il illumine les meilleurs moments de Bitches Brew et les deux premiers albums du Mahavishnu Orchestra (The Inner Mounting Flame, Birds Of Fire), ainsi que le Flame-Sky enregistré en 1973 avec Santana, et son propre album solo Devotion, sont totalement, mais alors totalement, essentiels. Je me répête, mais encore une fois, avec de tels musiciens, on ne peut pas louper son affaire. Bien que plutôt méconnu maintenant, cet Emergency ! est redoutable, et à découvrir absolument.
FACE A
Emergency
Beyond Games
FACE B
Where
Vashkar
FACE C
Via The Spectrum Road
Spectrum
FACE D
Sangria For Three
Something Spiritual