Alex Chilton sent bien, en 1974, alors que son groupe Big Star (enfin, 'son' groupe...il l'est devenu en 1972, au moment du départ de Chris Bell, après le premier album, mais Chilton n'a pas fait partie des membres fondateurs de Big Star, techniquement parlant, voir ma chronique de #1 Record pour en savoir plus) enregistre les chansons de ce troisième album, que la fin n'est pas proche : elle est carrément arrivée et s'est bien incrustée. D'ailleurs, Andy Hummel (basse) s'est barré, il ne reste plus, du groupe, que Chilton (chant, guitares, quelques claviers, composition) et Jody Stephens (batterie). Toutes les conditions sont donc réunies pour que l'on ait affaire, avec ce troisième album, à une oeuvre maudite. C'est totalement le cas : sauvé tant bien que mal de la déréliction par plusieurs producteurs, et parmi eux, Jim Dickinson (qui assure la basse sur pas mal de titres, et tiendra la production du premier Chilton solo, Like Flies On Sherbert, en 1978/1980), cet album verra le jour, en vinyle, en... 1978, sous le nom de Big Star's 3rd, et sous une pochette photographique en noir & blanc (celle ci-dessous). En 1992, Chilton a autorisé la sortie, en CD, de manière officielle (pas mal de bootlegs circulaient depuis des années), d'une version complète, définitive, et avec un ordre de morceaux différent (celui du vinyle ne lui plaisait pas), sous le nom de Third/Sister Lovers et une pochette montrant des jeunes baigneuses allongées en cercle sur le sable, photo ci-dessus.
Cette version CD propose les 14 titres de 3rd plus 5 bonus-tracks, faisant passer le tout à 56 minutes bien tassées. Quelle que soit la version, 1978 ou 1992, ce troisième (et pendant des années, des décennies même, le dernier Big Star, car le groupe, rapidement reformé, sortira un ultime In Space en 2005, pas nul, mais quand même à des années-lumière du niveau de leur trilogie 70's) Big Star est un monument dédiéà l'autodestruction qui n'est, dans ce registre, dépassé que par le Like Flies On Sherbert de Chilton, justement. Mais c'est difficilement comparable, Like Flies On Sherbertétant un monstre de rock lo-fi enregistré par un artiste au bord de l'implosion émotionnelle, psychologiquement fragile, un album rempli d'instruments désaccordés, de prises vocales à côté de leurs pompes, de bandes sonores qui se délitent, de faux-départs laissés sur disque, etc, tandis que Third/Sister Lovers (la seconde partie du titre serait issue des paroles du Triad de David Crosby) est remarquablement bien joué, interprété, produit (pour ce dernier point, disons que les producteurs ont réussi l'incroyable, car l'album sonne bien tout en étant, souvent, un disque de démos améliorées). Mais ce n'est pas un disque joyeux : quiconque a déjà entendu Holocaust sait ce que musique dépressive veut dire. En fait, c'est tellement dépressif que ça en devient malsain et flippant. C'est de loin le morceau le plus sombre de l'album, mais on ne trouve cependant pas beaucoup de moments joyeux ici. Kizza Me est un rock bien nerveux en ouverture, mais malgré la voix sautillante et chevrotante de Chilton, c'est pas la fête du slip non plus.
En 14 titres (et une quarantaine de minutes), car c'est en 14 titres que se déploie l'album initial (les bonus-tracks, notamment une reprise du Whole Lotta Shakin' Goin' On de Jerry Lee Lewis et du Till The End Of The Day des Kinks, sont excellents, mais ils détonnent pas mal avec le reste, je trouve), on trouve ici une sublime reprise du Femme Fatale du Velvet Underground, des morceaux aussi cultes que Kangaroo, Stroke It Noel, Thank You Friends, Jesus Christ et Holocaust, et au final, strictement rien à jeter. Enregistré difficilement par un 'groupe' qui n'existait quasiment plus, sauvé de la ruine par quelques volontaires courageux (Jim Dickinson aura mérité, pour s'être également farci les dévastatrices séances de Like Flies On Sherbert...) qui ont réussi l'impossible exploit de faire sonner cette collection de démos plus ou moins terminées comme un album fini et auto-cohérent (faites écouter l'album à quelqu'un, sans lui dire qu'il s'agit d'un album sauvé du désastre et constitué essentiellement de démos, et il y à de fortes chances qu'il ne s'en rende pas compte de lui-même), Third/Sister Lovers est parfois considéré commet le sommet de Big Star. Pour moi, ce sommet reste Radio City, mais de toute façon, rien à jeter chez la Grosse Etoile. Ce disque est aussi majeur et impressionnant que les deux autres, il nécessite cependant quelques écoutes pour bien qu'on s'en imprègne, il est moins évident que #1 Record et Radio City. Mais tout comme eux, il fait partie des albums de chevet d'une génération entière de musiciens et de fans de rock. Essentiel absolu.
Version vinyle 1978 (Big Star's 3rd) :
FACE A
Stroke It Noel
For You
Kizza Me
You Can't Have Me
Nightime
Blue Moon
Take Care
FACE B
Jesus Christ
Femme Fatale
O, Dana
Big Black Car
Holocaust
Kangaroo
Thank You Friends
Réédition CD Ryko 1992 (Third/Sister Lovers ; ordre voulu par Chilton) :
Kizza Me
Thank You Friends
Big Black Car
Jesus Christ
Femme Fatale
O, Dana
Holocaust
Kangaroo
Stroke It Noel
For You
You Can't Have Me
Nightime
Blue Moon
Take Care
Bonus-tracks :
Nature Boy
Till The End Of The Day
Dream Lover
Downs
Whole Lotta Shakin' Goin' On