Mon Dieu, que j'ai mis du temps à apprécier cet album ! Je dis 'apprécier', pas 'aimer', car je ne peux pas dire que je l'aime, en fait, ce disque. Mais autrefois, en revanche, je ne pouvais pas le blairer, je sentais sa présence à dix mètres et je m'en écartais en reculant, grimaçant comme un Brummell dans des chiottes de bastringue, me pinçant le nez et filant tout droit dans la direction opposée. Oui, je sais, j'exagère. Mais j'aimais vraiment pas ce premier opus de Traffic, Mr Fantasy, sorti en 1967 sous une pochette rouge des plus criardes (même la meilleure résolution d'image, sur le Net, fait pourri). Pourtant Traffic, le groupe de Stevie Winwood (Spencer Davis Group - I'm A Man, Gimme Some Lovin', pardon, mais c'est trop bon - puis, une fois son départ de Traffic, Blind Faith, Ginger Baker's Air Force, retour à Traffic et carrière solo) ! Excusez du peu, ce groupe est généralement considéré comme un des meilleurs de l'ère psychédélique britonne. Des albums (apparemment, car je ne les connais, à l'heure actuelle, toujours pas, hé oui) essentiels comme John Barleycorn Must Die ou Traffic, sans oublier ce premier opus de 1967. Lequel premier album a été, concept hippie/psychédélique ultime, composé en grande partie par un groupe parti se ressourcer, en communauté, dans un cottage, dans la verdoyante compagne anglaise (avec sans doute moult champignons hallucinogènes, buvards lysergiques et cigarettes qui rendent con à l'appui). Ce n'est cependant pas dans un cottage que le groupe a enregistré ce premier opus (sous la houlette de Jimmy Miller, qui produira les Stones, Blind Faith, mais aussi Mötorhead par la suite, excusez du peu), mais en studio, Olympic Studio précisément, à Londinium.
Verso de pochette
Le groupe avait auparavant sorti deux singles à succès, Paper Sun et Hole In My Shoe, qui ne se retrouveront pas sur ce disque court (34 minutes, 10 titres), sauf sur la version américaine d'époque (qui offre 12 titres, mais en vire cependant deux du tracklisting anglais, pour les remplacer par deux autres ; la réédition CD offre le tracklisting anglais, plus les rajouts américains en bonus-tracks ; à noter que la vrsion ricaine ne propose pas la même pochette, on y voit simplement une photo du groupe, et l'album y est renomméHeaven Is In Your Mind). Mr Fantasy est sorti en décembre 1967. A l'époque, le groupe est constitué de Stevie Winwood (chant, orgue, guitare, basse, piano, percussions), Jim Capaldi (batterie, percussions, choeurs, un peu de chant en duo avec Winwood), Dave Mason (guitare, mellotron, sitar, percussions, basse sur un titre, chant sur trois titres dont deux qui seront virés de la version ricaine) et Chris Wood (flûte, saxophone, orgue, percussions, choeurs). Wood fera par la suite partie de l'Air Force de Baker, aux côtés de Winwood, qui, lui, quittera Traffic en 1969 pour immédiatement fonder Blind Faith avec Clapton et Baker. L'album est très riche, un peu bordélique (Giving To You, qui achève l'album, est une sorte de bordel sonore free-jazz à la Zappa période Mothers Of Invention, du Zappa de l'époque quoi, mais en moins bon), les morceaux chantés par Mason ne sont pas forcément terribles (House For Everyone, avec son intro façon boîte à musique qu'on remonte, est excellente, mais Utterly Simple est un ratage daté dans le genre fume, c'est de la bonne, et Hope I Never Find Me There est moyenne, on comprend, à la rigueur, que les Américains n'en voulaient pas), et parmi ceux interprétés par Winwood, Berskhire Poppies est sympa mais un peu décousu (à entendre la voix de Stevie, on a l'impression qu'il n''était pas dans son état normal au moment de poser ses voix, ça chaloupe pas mal, ambiance oktoberfestà donf' !), et je n'ai jamais aiméColoured Rain.
Un des pans de la pochette intérieure
Mais le reste... No Face, No Name, No Number est une sublimissime ballade, belle à en défunter à mort ; Dealer, malgré une flûte un peu envahissante, est très efficace ; Heaven Is In Your Mind ouvre l'album avec efficacité, le morceau interloque un peu, il faut s'habituer au son très groupe hippie en communauté partageant ses champignons autour du feu de cheminée, mais ce morceau est génial. Et il y à les quasi-6 minutes de Dear Mr Fantasy, morceau apparemment dédiéà celui qui, en 1967, par le biais de deux albums essentiels, était déjà un Dieu vivant, Jimi Hendrix. Ce dernier reprendra le morceau, tout comme le Grateful Dead, Al Kooper et Mike Bloomfield, Crosby, Stills, Nash & Young et Big Sugar (nyé ?). Un morceau sublime, avant je le trouvais trop long, mais je pense qu'il a la durée qu'il faut (en 1971, sur leur album live Welcome To The Canteen, Traffic, avec Winwood, en livrera une version de 11 minutes). Un des meilleurs moments de Mr Fantasy avec la ballade No Face, No Name, No Number, le délirant Heaven Is In Your Mind et le très étonnant et nursery rhyme-esque House For Everyone. Le côténursery rhyme (comptine à l'anglaise) est d'ailleurs assez présent tout du long de cet album inégal, mais au final bien meilleur que ce que j'en pensais autrefois. On notera, en regardant la liste des titres plus bas, que les quatre meilleures chansons sont toutes sur la face A. Oui, Mr Fantasy est peut-être considéré comme un des meilleurs albums de l'ère psychédélique anglaise, mais il est tout de même vraiment inégal. Il n'est vraiment pas aussi quintessentiel que le premier Pink Floyd, le Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band des Beatles, le Disraeli Gears de Cream (lui aussi un peu inégal, mais tout de même moins que le Traffic) ou le Odessey And Oracle des Zombies. Mais ça reste un disque àécouter. De temps en temps. Pas trop souvent.
FACE A
Heaven Is In Your Mind
Berkshire Poppies
House For Everyone
No Face, No Name, No Number
Dear Mr Fantasy
FACE B
Dealer
Utterly Simple
Coloured Rain
Hope I Never Find Me There
Giving To You