Alors oui, je sais. Je sais bien. Ca va être difficile. Yoko Ono. Ces deux mots, ces quatre syllabes, sont, partout dans le monde, depuis 1968, symbole de haine pour pas mal de monde : les fans des Beatles. Souvent, très souvent, quasiment tout le temps en fait, les fans du plus grand groupe de rock du monde (hé non, les gars, c'est donc pas les Butthole Surfers !), malgré leurs éventuels sujets de discorde (quel est le meilleur album, la meilleure chanson, la meilleure année pour le groupe, quel album solo est le meilleur, quel Beatle est le meilleur des quatre, etc), se retrouvent sur un sujet : salope de Yoko. Pute de Yoko. Grosse connasse de merde de Yoko. Et autres épithètes qui, si elle les entendait (et elle a dû en entendre pas mal autrefois), lui feraient tomber ses cheveux d'un coup et la vieillirait de 30 ans direct. Faut dire qu'elle a de quoi attiser la haine : il paraît que c'est à cause d'elle que les Bitteuls se sont séparés. John, l'ayant rencontré (alors qu'il était marié avec Cynthia, la mère de Julian), ne pouvait dès lors plus s'en passer. Il l'emmenait partout, en studio, en soirées, chez lui évidemment. Albums expérimentaux inaudibles bourré comme à jeun à la clé. Lennon se désolidarisant progressivement du groupe. La séparation semblait inévitable et n'a pas étéévitée. Mais Yoko n'est pas la seule responsable, et ne comptez pas sur moi pour lui crachoter à la face. Vous serez sans doute étonné(e)s d'apprendre que je ne classe pas ce disque dans la catégorie des ratages. De même que je vais aborder l'album suivant de Yoko, qui lui aussi va échapper à l'infâmante catégorie.
J'avais, il y à longtemps, ici, abordé le premier opus solo de Yoko : Yoko Ono/Plastic Ono Band, sorti en 1970, parallèlement au premier album solo de Lennon (John Lennon/Plastic Ono Band). Pochettes similaires (changement de position du couple sous l'arbre, et verso différent, une photo de Yoko enfant au lieu de John enfant), même ambiance introspective, l'album de Yoko étant juste bien plus expérimental que celui de son mec. Pas un mauvais album (Why, Touch Me), mais on ne le conseillera pas aux fans de Phil Collins. L'année suivante, Lennon sort Imagine, un de ses gros classiques. Parallèlement, sa meuf sort son deuxième album, Fly. Un double album de 95 minutes (la durée du White Album des Beatles), mais ne comprenant que 15 titres. Un album encore plus expérimental que le précédent, et dont l'artwork est un reflet total du Imagine de Lennon : Le visage de Yoko en couverture, avec le même lettrage ; au verso, les pieds de Yoko (au lieu de la tête, de profil et couchée, de Lennon). Les musiciens en partie sont les mêmes (Lennon, Klaus Voorman), on a aussi Eric Clapton Jim Keltner, Ringo, Jim Gordon, Bobby Keyes. L'album a été enregistré en partie en 1969 à Abbey Road, et en partie durant les sessions, à Ascott (propriété de Lennon et Yoko) en 1971, de l'album Imagine. Un des titres, Don't Worry, Kyoko (Mummy's Only Looking For Her Hands In The Snow) date justement de 1969 (Clapton et Ringo sont sur ce morceau, et sur ce morceau uniquement) et était sorti en face B du 45-tours Cold Turkey de Lennon. On ne présente plus ce grand moment de dinguerie yoko-onienne inaudible à jeun. Le supplice ne dure, ici, que 5 minutes ; sur le double Some Time In New York City de Lennon/Yoko, 1972, une version live dure 16 minutes ! Autre morceau sorti en face B de single lennonien, Hirake (sous le titre Open Your Box), sur le 45-tours Power To The People en 1971. Mrs. Lennon est, lui, sorti en single promotionnel de Fly, avec Midsummer New York en face B.
Fly est un disque aussi étrange que sa pochette. Sincèrement, ce n'est pas un album facile d'accès, c'est de la Yoko Ono expérimentale à laquelle nous avons droit ici. Pas aussi expérimentale que sur les trois albums de 1968/69 faits avec Lennon (mon Dieu, ces albums...), mais si vous voulez de la Yoko accessible, attendez l'album suivant, Approximately Infinite Universe de 1973 (lui aussi double, de la même durée), sa version à elle du Lost Weekend lennonien. Sur Fly, on a donc seulement 15 titres, dont un Mind Train de 17 minutes assez bizarre, un Fly de 23 minutes qui l'est encore plus (amateurs de miauleries yoko-oniennes, soyez ravis, il y en à plein ici), un Telephone Piece de...1 minute, un Airmale de presque 11 minutes, le fameux Don't Worry, Kyoko (Mummy's Only Looking For Her Hands In The Snow) précité qui donnerait envie à tout le monde d'expédier Yoko en aller simple en Corée du Nord, et les 30 secondes inutiles de Toilet Piece/Unknown. Mrs. Lennon est, en revanche, au même titre que Hirake, You (9 minutes) et Midsummer New York, franchement pas mal, pour ne pas dire mieux. Mais il est cependant vrai que l'essentiel de Fly est assez étrange et vraiment inclassable, difficile d'accès et vraiment pas très appréciable. Pourquoi ne pas avoir classé ce disque dans les ratages, donc ? Pour une seule et bonne raison (selon moi) : quiconque ayant envie d'écouter ce disque sait forcément à quoi il va s'attendre, on parle de Yoko Ono après tout, et donc, cette personne écoutera ça en pleine conscience, volontairement ; donc, c'est que, quelque part, il aime ce genre de musique. Je n'ai pas seulement écoutéFly, je l'ai acheté (le suivant de Yoko aussi), en CD, et j'aimerais bien l'avoir (le suivant aussi ; en fait, les deux suivants, c'est à dire Approximately Infinite Universe et Feeling The Space) en vinyle. Je ne suis pas dingue de ce disque, mais dans le genre expérimental, c'est intéressant. Pas forcément toujours très audible, j'avoue baisser un peu le son quand Yoko miaule comme un chat enculé par une batte de base-ball taillée en pointe, mais ce n'est pas merdique. Dire de sa musique qu'elle est merdique uniquement parce que c'est Yoko Ono, c'est un peu facile. J'ai au moins écouté avant de dire ça. OK, c'est pas toujours génial, c'est même franchement difficile pour le cas de Fly, mais c'est original et osé. Courageux. Rien que pour ça, ça mérite au moins une écoute. Et sincèrement, l'album suivant est une vraie petite merveille.
FACE A
Midsummer New York
Mind Train
FACE B
Mind Holes
Don't Worry, Kyoko (Mummy's Only Looking For Her Hands In The Snow)
Mrs. Lennon
Hirake
Toilet Piece/Unknown
O'Wind (Body Is The Scar Of Your Mind)
FACE C
Airmale
Don't Count The Waves
You
FACE D
Fly
Telephone Piece