Je vais être clair (de lune à Maubeuge) : cet album, sorti en 1974, enregistré en plusieurs endroits en 1973, est considéré comme un des plus grands albums live de l'histoire de la musique enregistrée, et ce, depuis Charlemagne au moins. Et cette réputation est totalement justifiée, amplement méritée. Double album (toujours en CD, car l'album dure 92 minutes), c'est aussi un des rares albums live (avec le Made In Japan de Deep Purple et le Live/Dead du Grateful Dead notamment) à ne contenir strictement aucun overdub, aucune modification en studio. Là où d'autres albums live (Alive ! de Kiss, Live And Dangerous de Thin Lizzy, Live At Leeds des Who...) ont parfois été plus ou moins retouchés en studio (genre on refait des voix, des parties de guitare, voire même on place des morceaux enregistrés en studio, ou en répétition scénique, et on y ajoute des clameurs et applaudissements pour faire croire que c'est live ; et avant que vous ne gueuliez que c'est un procédé dégueulasse que le dernier que je cite, sachez que le live de Thin Lizzy que je viens de citer, génial malgré tout, possède deux titres de la sorte). Bref, ce double live de 1974 est un pur de chez pur, le principal auteur de cet album y tenait particulièrement. Il s'agit de It's Too Late To Stop Now, premier album live de Van Morrison. Ai-je besoin de présenter Van Morrison ? Je vais le faire quand même au cas où. Irlandais, George Ivan Morrison, surnommé Van, ou Van The Man, est un chanteur à la personnalité très particulière (il était timide, timiiiiide, étant enfant, et ça s'est totalement transforméà l'âge adulte, son jeu de scène étant pour le moins exubérant), et au talent prodigieux. Il a joué (guitare, saxophone) dans divers petits groupes avant de fonder, en 1964, The Gamblers, qui va rapidement devenir Them.
Tubes en pagaille (Gloria, Here Comes The Night) pour ce groupe mythique que Van quitte, afin de se lancer en solo, en 1966. Il sort son premier opus solo en 1967, Blowin' Your Mind, et un an plus tard, le grandiose et un peu complexe Astral Weeks, suivi du plus facile d'accès et tout aussi grandiose Moondance en 1970. Le style est un savant mélange entre rock, jazz, folk, soul, rhythm'n'blues, un peu de celtique. Alors que les Them tentent de vivoter sans lui (ils sortent quelques albums qui ne feront pas de succès, même si leur avant-dernier, In Reality de 1971, est très sympa ; le dernier date, lui, de 1979), j'ai bien dit 'tentent' car c'est mission impossible, Van The Man aligne les albums, tous réussis (comme Tupelo Honey, Saint Dominic's Preview, Hard Nose The Highway qui, sorti en 1973, est à l'époque de l'enregistrement de ce live, son plus récent), et qui sont autant de mélanges entre rock, jazz, folk, rhythm'n'blues, soul, le tout baigné par sa si particulière voix aigüe, qu'il est peut-être difficile d'aimer au premier abord, le bonhomme étant parfois exubérant aussi bien dans son jeu de scène (roulades au sol, danses étranges, grimaces, vêtements déchirés) que dans son interprétation. It's Too Late To Stop Now, le double live de 1974, a été enregistré au Rainbow Theatre de Londres, au Troubadour de Los Angeles, et au Civic Auditorium de Santa Monica (Californie aussi) entre le 24 mai et le 24 juillet 1973. Il offre 18 titres ahurissants, qui sont aussi bien des morceaux de la carrière solo de Van Morrison que des morceaux des Them, ainsi que quelques reprises bien senties de classiques du rhythm'n'blues et de la soul. Comme un sensationnel Bring It On Home To Me (de Sam Cooke), ou I Just Want To Make Love To You de Willie Dixon.
Intérieur de pochette (elle est ouvrante en trois volets)
Je ne sais pas quoi dire devant tant de perfection. Aussi à l'aise sur les morceaux enlevés (le live démarre par un Ain't Nothin' You Can Do repris à Joseph Scott, et par la suite, I've Been Working, que Bob Seger a repris en 1973, est imparable) que calmes (les sensationnels, parfaits, hors de ce monde Into The Mystic - le titre du live est à la base issu des paroles de ce morceau, mais sur le live, symbolise un tout autre moment, j'en parle ensuite - et Saint Dominic's Preview), Van The Man, accompagné de musiciens peut-être pas mondialement connus, mais franchement exemplaires, livre une prestation (disons, une série de prestations !) bluffante. La dernière face, par exemple, est une des plus grandes faces d'albums que j'ai jamais entendues : Here Comes The Night, Gloria, tous deux du répertoire des Them, Caravan (de Moondance) long de 9 minutes et un Cyprus Avenue (de Astral Weeks) tétanisants, voilà de quoi achever en beauté l'album. Cyprus Avenue, notamment, délivre, tout du long de ses 10 minutes, une atmosphère tellement prenante qu'elle en est douloureuse, presque, et le final maintient une tension absolue. La fin du morceau, et du live, est anthologique, l'album en sera ainsi baptisé. Van, alors que la tension est à son comble, se met à crier "it's too late to stop now !!" ('trop tard pour s'arrêter, maintenant'), et sur ce cri, tout s'arrête. On est alors en état de choc, incapables de bouger, de se lever pour retirer le disque de la platine ou du lecteur CD. C'est un grand moment de live (que Van refera souvent tout du long de sa carrière, un moment culte de ses prestations). Tout comme l'intégralité de cet album qui, de DominoàCaravan, de Listen To The LionàWarm Love, de These Dreams Of Youà un court mais fulgurant Gloria, aligne tellement de merveilles que ça en est irréel (Saint Dominic's Preview...). Essentiel absolu que tout fan de rock, de folk, de jazz, de soul, de rhythm'n'blues, de live, bref, de grande musique, se doit d'avoir en sa possession !
FACE A
Ain't Nothin' You Can Do
Warm Love
Into The Mystic
These Dreams Of You
I Believe To My Soul
FACE B
I've Been Working
Help Me
Wild Children
Domino
I Just Want To Make Love To You
FACE C
Bring It On Home To Me
Saint Dominic's Preview
Take Your Hands Out Of My Pocket
Listen To The Lion
FACE D
Here Comes The Night
Gloria
Caravan
Cyprus Avenue