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"BBH 75" - Jacques Higelin

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 Si vous cherchez un pur grand disque de rock français, ne cherchez plus : vous venez de le trouver. Ce disque. Ce n'est pas le premier vrai grand disque de rock français (Rivière...Ouvre Ton Lit de Johnny Hallyday, 1969, l'est probablement), mais BBH 75 n'en demeure pas moins ultra essentiel et important. Un disque court (un petit peu moins de 35 minutes, pour 8 titres) et franchement vital, dont on se demande bien pourquoi, à l'heure actuelle, il n'est pas plus connu, réputé, cité. C'était sûrement un disque cité au moment des premiers albums de Téléphone (dont un des membres, Louis Bertignac, fera partie des Super Goujats, le groupe qu'Higelin formera en 1975 et jouera sur son Irradiéde la même année, l'album qui suit BBH 75), Bijou, Starshooter ou Bérurier Noir, mais depuis des années, on a l'impression que BBH 75 est tombé dans l'oubli. Pourtant, c'est une référence absolue, irremplaçable pour tout groupe de rock français de 1975 à nos jours. Mieux, même : c'est tout simplement le premier disque de punk-rock français, sorti bien avant les premiers opus d'Asphalt Jungle, Bijou, Téléphone, Stinky Toys... Bien qu'ayant la précision 75 sur la pochette, BBH 75 est sorti en 1974, en toute fin d'année. Il devait d'ailleurs s'appeler BBH 74 à la base, mais Higelin estimera qu'en appelant ainsi l'album, alors que l'année 1974 se finissait, aurait été une mauvaise idée : il aurait eu comme référence une année écoulée, et aurait semblé un peu obsolète, quelque part. L'album fut donc renommé pour coller avec la future année 1975, année de Physical Graffiti, Horses, A Night At The Opera, Wish You Were Here, Tonight's The Night, Born To Run ou Malpractice, année importante, donc. Année, aussi, d'Irradié.

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75, donc, dans le titre, c'est pour l'année. BBH, aussi le nom du groupe interprétant l'album (et qui ne durera que ce disque, avant qu'Higelin ne forme les Super Goujats qui, eux aussi, tiendront le temps d'un disque et de quelques concerts), c'est pour les initiales des noms de famille des trois uniques musiciens sur l'album : le batteur Charles Bénarroch (rien à voir avec Denis Benarrosh, aussi batteur), le guitariste et bassiste Simon Boissezon (qui fera partie des Super Goujats) et, évidemment, Higelin (chant, harmonica). Pas de piano, pas d'accordéon, pas d'autres instruments que guitare, basse, batterie et harmonica. Un disque sec, brut de pomme, du pur rock qui bute, un disque qui fera sans doute grincer des dents à ceux pour qui Higelin, c'est Tombé Du Ciel, ce fameux tube de la fin des années 80. Higelin était un sacré putain de rockeur acharné dans les années 70, de ce disque àNo Man's Land (1977), et il n'a jamais été aussi éloigné du carcan variétoche qu'ici, sur ce BBH 75 réellement punk et pas faussement punk. Avec deux ans d'avance (enfin, un an/un an et demi d'avance), il livre ici une déflagration électrique d'autant plus brutale et cinglante qu'elle est accompagnée de deux chansons acoustiques (situées en deuxième position de chacune des faces) pour apaiser le bazar. L'album sera refusé par pas mal de maisons de disques. Pathé le sortira, intéressé par ce nouveau Higelin, venu remplacer manu militari l'ancien chanteur à l'accordéon qui, avec Brigitte Fontaine et son futur mari Areski Belkacem, faisait auparavant, sur le label Saravah, des albums inclassables, très originaux, folk déglinguéà la Tom Waits hexagonal. Là aussi, il n'aura jamais été aussi éloigné de ça sur BBH 75, si on excepte les deux chansons calmes, Cigarette et surtout Une Mouche Sur Ma Bouche.

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L'album est remarquable pour tout, de ses chansons (pas mal de classiques d'Higelin ici : Mona Lisa Klaxon, Boxon, Paris - New York/New York - Paris...) à sa production sèche et punk, en passant par l'interprétation. Et sa pochette, aussi, qui est des couleurs du drapeau national, quelque part : bleu (bleu nuit) pour le fond, blanc pour le néon stylisé qui prend la forme et du nom de l'artiste, et du titre de l'album, encerclant littéralement la photo centrale, et rouge pour cette photo d'un Higelin jeunot (il cognait la trentaine d'années à l'époque), regard méprisant et dur, visage blafard malgré le rouge de la lumière qui le recouvre totalement. Au dos, même couleur bleu nuit, même néon stylisé entourant un cadre du même format, mais offrant trois petites photos noir & blanc de BBH : Boissezon concentré sur son instrument, Bénarroch sourire au lèvres et Higelin, yeux fermés, perché sur son micro, en pleine effort, un Higelin difficilement reconnaissable, on dirait plus Jean-Louis Aubert que lui. Vous pouvez apercevoir cette photo ci-dessus, dans une reproduction du dos du CD (a noter que c'est une photo d'une ancienne réédition CD ; la plus récente est plus belle niveau lettrage, et moins fournie, mais dans le même genre). Cette pochette, franchement réussie, est une parfaite représentation du son de l'album ; je ne sais pas comment le décrire, c'est pas facile à dire, mais il suffit de regarder la photo de pochette, avant la première écoute de BBH 75, et on sait d'ores et déjà que l'album sonnera ainsi, brutal, sec, punk, sans concessions. On n'est pas déçus, donc, à l'écoute de l'album. En tout cas, moi, je n'ai pas été déçu, et je le dis clairement, ce disque est le sommet d'Higelin avec Alertez Les Bébés ! de 1976, et probablement mon préféré, juste devant cet album de 1976 (qui est plus varié).

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L'album s'ouvre sur un des classiques absolus d'Higelin, qui faisait apparemment une vingtaine de minutes à la base avant d'être raccourci à une durée bien plus sobre de 4,25 minutes (néanmoins, la version live présente sur le monstrueux Hold Tight - A Mogador de 1981 dure 21 minutes) : Paris - New York/New York - Paris. Ce morceau est la base de BBH 75, dans un sens. Ce n'est pas pour rien qu'Higelin l'a foutu en première position : la chanson commence comme une folk-song à la Dylan, guitare acoustique, chant nonchalant, avant de virer brutalement, vers son centre, en une furie totale à la Stooges/MC5. Garage, punk. Vise-moi ce connaaaaaaaaard !, glapit Higelin, et il y à tout le punk dans cette voix. En 1974 ! Ce morceau détruit tellement les tympans de l'auditeur qu'il fallait bien un peu de répit, et c'est la raison probable de la présence de Cigarette, chanson admirable, folk, acoustique, bluesy aussi, dans laquelle Higelin se déclare amoureux d'une clope. Passage amusant, à la fin, quand il chante en toussant. Mona Lisa Klaxon (un putain de classique sur lequel Higelin se détruit la voix) et Chaud, Chaud, Bizness-Show (une chanson sur un type s'affiliant avec la pègre pour gagner sa vie) permettent à la face A de se finir encore plus rock et brutalement qu'elle n'avait commencée. La face B, elle, s'ouvre sur le sommet de l'album, malgré son titre assez ridicule et ronflant : Est-Ce Que Ma Guitare Est Un Fusil ?, qui est encore une fois un classique absolu d'Higelin. Paroles mythiques dont des bribes se trouvent imprimées au dos de pochette (Hey, je suis né dans un spasme/.../Le ventre de ma mère a craché un noyau de jouissance et j'ai jamais perdu le goût de ça). Boissezon, ici, use à merveille d'un riff totalement destroy, la rythmique est incroyable, Higelin semble prêt à en découdre avec tout le monde... Monstrueux. Une Mouche Sur Ma Bouche, ensuite, servira d'apaisement, comme Cigarette sur la précédente face. C'est la chanson la plus 'Saravah'/Areski/Fontaine de l'album, très douce, acoustique, lente, hypnotique, dans laquelle Jacques décrit sa sieste et une putain de mouche se posant sur le coin de sa bouche, mais il est trop bien, trop fatigué, pour l'en chasser. Puis, retour au gros son punk avec les deux derniers titres, le cinglant Oesophage Boogie, Cardiac Blues et surtout le monumental et trop court (3,30 minutes) Boxon final, à faire chanter dans les bistrots : Boooooooxon, boooooooxon, où c'que tous les paumés vont, boooooooooxon, boooooooxon, et ce riff, putain...

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Claque sonore de tous les instants, BBH 75 est clairement un des sommets absolus d'Higelin et son premier sommet, d'ailleurs. Un disque sans répit (enfin, si, deux chansons calmes pour apaiser un peu, mais elles font super bien dans l'ensemble), beaucoup trop court, mais parfait de bout en bout. Vraiment un des plus grands, si ce n'est même le plus grand, disque de pur rock made in France. Meilleur que Rivière...Ouvre Ton Lit d'Hallyday, par exemple, qui est pourtant un très très très grand disque de rock. Bref, si vous aimez le rock, français ou en général, il vous faut à tout prix ce disque, un disque vraiment sous-estimé de nos jours ; c'est d'ailleurs ce que l'on a toujours envie de gueuler, une fois les dernières notes de Boxon achevées et le disque fini : mais comment se fait-il que BBH 75 ne soit pas, aujourd'hui, reconnu d'utilité publique et plus connu du grand public ? Si je vous ai donné envie de vous procurer ce disque (qui est très facile à se procurer), alors j'aurais accompli ma mission.

Chronique complémentaire de MaxRss :

 Au travail, j'avais un collègue (de plus de 30 ans mon aîné, aujourd'hui retraité et malheureusement veuf avec deux mômes sur les bras) avec lequel je m'entendais très bien. Quand on bossait ensemble, d'un coup, on s'arrêtait et, pendant une demie-heure voire plus, on se mettait à causer musique. Et de tous les styles. L'ex-collègue est un grand fan de Bashung, de Gainsbourg, des Beatles, de Neil Young, de Tom Waits et j'en passe. Pour vous dire à quel point le bonhomme ne manque pas de goût. En revanche, et ça me faisait bien plaisir d'ailleurs, c'est l'une des rares personnes que j'ai connues qui détestait Jean-Jacques Goldman autant que moi, sinon plus. Mais au fait, pourquoi je parle de ce gars ? Tout simplement parce qu'un jour, en discutant comme ça de chanson française, il en est venu à me demander : "et Higelin, tu connais ?". Ce à quoi je lui avais répondu : "seulement Tombé Du Ciel". Et puis, de fil en aiguille, il m' dit d'aller écouter ce disque. Ce disque, c'est... BBH75 d'Higelin. Sorti en 1974. Mais, comme il est sorti en décembre 1974, l'année nouvelle approchant, il a été décidé de l'appeler BBH75, c'est logique et puis, ça sonne bien comme titre non ?

 Le soir même, j'écoutais l'album et... j'en suis tombé raide dingue dès la première écoute ! La voilà la vérité votre Honneur ! S'il n'est pas, comme le précise Clash fort justement, le premier grand disque de rock français, BBH75 est incontestablement l'un des plus grands disques de rock français. Philippe Manoeuvre l'ayant même classé sixième des cent meilleurs disques de rock français. Il faut dire qu'il y a de quoi. Cet album propose une enculade de chansons dévastatrices qui réduisent en petit gravier le rock français de l'époque. Et, pour ne rien gâcher, ce disque, on peut le dire, sera une putain de Bible pour le punk à la française. Ils ne sont que trois : Higelin au chant (et qui a écrit tous les textes), Boissezon à la guitare électrique et à la basse et Bennaroch à la batterie, aux percussions et à l'harmonica, mais à eux trois, ils font un boucan d'enfer. Non mais, regardez un peu ces titres : Paris-New York/New York-Paris, classique Higelinesque en diable. Tour Montparnasse à Manhattan, Cinquième Avenue, six heures du soir, vise-moi ce CONNAAAAAARD ! Hige se pète la voix et braille comme s'il souffrait le martyr. Mona Lisa Klaxon, classique intouchable du chanteur, avec des accents funky, le voit se mettre minable vocalement parlant. Il se dit d'ailleurs qu'il se serait éclaté les cordes vocales tant il braille. Chaud, Chaud, Bizness-Show est sans doute le titre le moins fort de la première face, mais c'est vraiment enculer les mouches tant il défouraille sévère. Chaud, chaud, bizness-show, te v'là sorti d'la masse, garde la tête hors de l'eau...

 Et sur la seconde face ? On trouve Oesophage Boogie, Cardiac Blues, le morceau le moins puissant de tout l'album, mais là, encore une fois, c'est enculer les mouches. Ce morceau est une véritable furie. Encore une fois, Higelin se déglingue la voix, au sens propre du terme. Accroche-toi mousse, ça tourne MAAAAAAL, tiens bon la colonne vertébrale. Il y aussi ce titre...putain rien qu'à l'idée d'en parler, je tremble de partout : Boxon. Conclusion de l'album. Un rock urbain brutal à souhait au chant tétanisant racontant (façon Higelin, of course) la vie en banlieue. Les mecs, je ne sais pas quoi vous dire...c'est tellement monstrueux que ça se passe de commentaires. Je m'suis planté là par hasard un beau soir de dèche, le blues au cul le coeur gros et le gosier à sec, couchés sur le trottoir un paquet de pauvres mecs et une super panthère qui te propose son bifteck. Dans le boooxon, booooxon, où c'que tous les paumés vont. Sachez toutefois que l'album n'est pas entièrement rock. Et pour cause, il contient deux incartades folk : Cigarette sur la première face et Une Mouche Sur Ma Bouche sur la seconde. Toutes deux, sans être aussi cintrées, se rapprochent des chansons folks que faisait Higelin lorsqu'il était à la Saravah. Les deux sont putainement excellentes. Cependant, j'ai quand même une petite préférence : elle va àCigarette. Et j'ai gardé le meilleur pour la fin. J'ai gardé le sommet absolu de l'album qui est aussi, à mes yeux, la plus grande chanson d'Higelin (et Dieu sait qu'il en a pourtant pondu un paquet...) : Est-Ce Que Ma Guitare Est Un Fusil ? Sous ce titre ronflant, se cache une véritable dinguerie auditive, un truc qui vous fait gicler même si vous avez baisé cinq fois dans la journée (si ça vous est déjà arrivé chapeau, vous êtes des surhommes), un monstre de 5'08 minutes. Entre l'harmonica, la batterie et les percussions de Bennaroch, la guitare-mitrailleuse de Boissezon et le chant habité d'Higelin, on se fait littéralement incendier la gueule. Hey, je suis né dans spasme, dans un gros brasier haletant, au beau milieu d'un raz-de-marée de sang. Vous l'avez pigé : ce disque est absolument indispensable. Il est très facile à trouver et le prix défie toute concurrence. Vous n'avez donc aucune excuse. Immense disque pour un immense artiste. 

 

FACE A

Paris-New York/New York-Paris

Cigarette

Mona Lisa Klaxon

Chaud, Chaud, Bizness-Show

FACE B

Est-Ce Que Ma Guitare Est Un Fusil ?

Une Mouche Sur Ma Bouche

Oesophage Boogie, Cardiac' Blues

Boxon


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