Vous connaissez Van Der Graaf Generator ? Sous ce nom barbare (qui vient d'une invention, le générateur d'électricité statique de Van de Graaff ; le groupe a changé l'orthographe involontairement) se cache un groupe de rock progressif britannique (ce genre musical est typiquement britannique, même si certains groupes connus de ce genre sont français, allemands ou italiens ; mais peu sont américains, par exemple) mené par le chanteur et guitariste Peter Hammill. Ce groupe n'a pas raté beaucoup de ses albums, autant le dire ; aussi bien Pawn Hearts, de sa première période (avant un hiatus d'environ quatre ans au cours desquels Hammill fera des albums solo) que Godbluff et Still Life de sa seconde, pour ne citer qu'eux, sont de vraies réussites. Mais des albums exigeants, un peu comme les albums de King Crimson ; des albums recherchés, expérimentaux, sombres, pas des écrins à hits radio. Hammill, surnommé autrefois "le Hendrix de la voix" (sa palette vocale est en effet assez ahurissante), a sorti son premier album solo, Fool's Mate, en 1971. La même année, son groupe prend sa pause et ne reviendra qu'en 1975. En 1973, son deuxième album solo, Chameleon In The Shadow Of The Night, enfonce le clou avec un art-rock progressif et un peu folk, totalement maîtrisé. En 1974, il sort deux albums. Le premier, The Silent Corner And The Empty Stage, est un de mes albums de chevet, un disque surpuissant, envoûtant, grandiose de A à Z, une pièce maîtresse (A Louse Is Not A Home). Le second, le voici, c'est In Camera. On notera un truc : les albums solo de Hammill sont enregistrés avec les musiciens de Van Der Graaf Generator (David Jackson, Guy Evans...), ce qui en font des albums de Van Der Graaf Generator, dans un sens ! D'ailleurs, le groupe jouera des morceaux solo de Hammill en live (et durant ses concerts solo, il jouera des morceaux de VDGG).
In Camera, quatrième album solo de Hammill, sorti donc en 1974 (en juillet), a été enregistré entre décembre 1973 et avril, et il dure 47 minutes et autant de secondes. Pour 8 titres en tout. Jouant de la guitare, de la basse, du piano et divers claviers (mellotron, synthétiseur, harmonium), Hammill est entouré ici de Guy Evans (batterie) de VDGG sur deux titres, mais d'aucun autre membre de son groupe. Moi qui ai dit plus haut que les albums solo de Hammill étaient faits avec les musiciens du groupe, il me fait mentir, ce con ! C'est une des rares exceptions, ici. La batterie est tenue par Chris Judge-Smith sur le reste de l'album, des percussions surtout. L'album est, comment dire, pas vraiment commercial, il ne renferme aucun hit (ce qui n'est pas surprenant, ce n'est pas le style du bonhomme de faire des tubes) et il n'y à eu aucun single promotionnel de toute façon. Je ne vais pas dire que l'album n'a pas marché, les fans de VDGG et de Hammill se sont rués dessus, mais le grand public avait autre chose à acheter, probablement, en 1974 (Stones, Bowie, Lou Reed, ABBA, Deep Purple...). In Camera est un disque exigeant, comme les précédents (le suivant, Nadir's Big Chance, en 1975, prototopunk, sera plus 'accessible', et encore), et tout aussi réussi. Il faut cependant plusieurs écoutes pour accrocher, surtout que l'album se termine sur 17 minutes (réparties en deux plages audio en CD ; mais en vinyle, c'est considéré comme un seul bloc) assez cheloues : Gog/Magog (In Bromine Chambers). Le premier, Gog (7,40 minutes), est un morceau apocalyptique, interprété par un Hammill furieux, qui braille comme un suppôt de Satan. Hammill n'a jamais chanté aussi brutalement, violemment, qu'ici, et comme l'accompagnement musical (harmonium lugubre, percussions de malade) est angoissant, le résultat est terrifiant. Magog (In Bromine Chambers), qui dure 9,40 minutes, lui, c'est de la musique concrète, un morceau que vous trouverez péniblement interminable les mauvais jours, et juste très long les autres jours, et sur lequel Hammill chante d'une voix extrêmement ralentie (au point d'être inintelligible ; les paroles sont sur la sous-pochette et/ou le livret CD), sur un accompagnement lugubre et dissonnant. Pas vraiment le morceau idéal pour coucher les enfants le soir !
Le reste de l'album est, en comparaison, bien plus accessible, même si certains morceaux (Tapeworm, (No More) The Sub-Mariner) sont assez radicaux, rien ne l'est autant que les 17 minutes finales d'In Camera. On trouve d'ailleurs, ici, quelques morceaux plus calmes (Ferret And Featherbird et Again sont sublimissimes) et un morceau, qui ouvre la seconde face, est une tuerie absolue, sans doute le meilleur morceau solo de Hammill (avec A Louse Is Not A Home du précédent opus), j'ai nomméThe Comet, The Course, The Tail. Il n'y à pas de mots suffisamment forts pour décrire ce moment de grâce, alternance entre envolées vocales et calme relatif. Relatif, car tout In Camera, même ses morceaux les plus calmes (Again), est imprégné d'une atmosphère sombre, mystique et intérieure, claustrophobique. J'ai envie de dire que rien que la pochette donne le ton, on sent que l'album ne sera pas facile en regardant ces deux photos (recto et verso) d'un Hammill vêtu d'une grande cape, l'air impénétrable et impérial (et cette photo sur la sous-pochette, curieuse, on dirait un homme, mais aux formes carrées, rectilignes, inhumaines...). Pas un disque àécouter au petit-déjeuner, pas un album à mettre en fond sonore d'une soirée entre potes ou en famille, ce quatrième cru solo de Peter Hammill, un de ses grands meilleurs, se mérite et n'est en fait à réserver qu'aux oreilles aventureuses (si vous aimez les albums de Nico, allez-y, c'est à peu près aussi 'commercial', ah ah ah). Si votre idéal musical est Phil Collins, passez votre chemin.
FACE A
Ferret And Featherbird
(No More) The Sub-Mariner
Tapeworm
Again
Faint-Heart And The Sermon
FACE B
The Comet, The Course, The Tail
Gog
Mago (In Bromine Chambers)