« Dark Night of the Soul »… A fortiori, ça ressemble à un nouveau film de David Lynch… Par ailleurs, l’oriflamme laisse transparaître une main ouverte et à l’intérieur une sorte de brebis égarée… Sauf que ce n’est pas un film de David Lynch, mais le fruit de la collaboration (de la collusion) entre Sparklehorse et Danger Mouse. En l’espace d’une dizaine d’années, Sparklehorse s’est octroyé le statut de « groupe » dépressif. En outre, le qualificatif de « groupe » est plutôt galvaudé, puisque sous ce cryptonyme (donc, Sparklehorse, au cas où vous n’auriez pas compris…), se trouve un seul et même homme, Mark Linkous, auteur-compositeur-interprète américain.
Après plusieurs tentatives d’autolyses, l’artiste polymorphe se cherche un second souffle. Tout le monde (l’intelligentsia musicale y comprise) lui prédit un avenir sous les meilleurs auspices. Sauf Mark Linkous… Mais entre deux dépressions et neurasthénies mentales, l’artiste hétéromorphe s’attelle à la tâche.
Au moment de se lancer dans le projet Dark Night of the Soul, Mark Linkous (enfin… Sparklehorse) possède déjà de solides scansions dans sa besace. Avec ses précédents ouvrages (l’inénarrable Vivadixiesubmarinetransmissionplot, Good Morning Spider, It's a Wonderful Life et Dreamt for Light Years in the Belly of a Mountain), Sparklehorse apparaît comme le digne épigone de Radiohead, le suicide, la contrition et la résipiscence en plus. En outre, Dark Night of the Soul connaîtra – peu ou prou – le même fatum que Radiohead avec l’album In Rainbows (2007). L’album est cornaqué par les soins de Danger Mouse, un producteur et compositeur qui a supervisé des groupes (ou des artistes) tels que Gorillaz, Adele, Norah Jones, Beck ou encore The Black Keys.
L’artiste polymathique possède donc une solide réputation dans le sérail musical. Par ailleurs, cette coalescence entre Danger Mouse et Sparklehorse n’est pas aléatoire puisque les deux hommes ont déjà butiné (si j’ose dire) sur l’album Dreamt For Light Years in the Belly of a Mountain de Sparklehorse.
Les deux artistes requièrent l’érudition de David Lynch pour réaliser la pochette de Dark Night of the Soul. Par ailleurs, le réalisateur vient également apposer son omniscience musicale sur deux morceaux de l’album, le sublime Star Eyes et la chanson éponyme, d’une mélancolie ineffable. A l’instar d’In Rainbows (bis repetita…), Dark Knight of the Souls ne sortira pas dans les bacs. La discorde provient du label EMI. Conçu durant la période 2008/2009, Dark Knight of the Soul apparaîtra finalement sur les réseaux sociaux et en téléchargement libre (et gratuit) en 2010, date à laquelle Mark Linkous passe l’arme à gauche ; laissant le monde du rock pantois.
D’une durée de 46 minutes environ (45.53 minutes pour être précis), Dark Night of the Soul se subdivise en 13 morceaux. On peut légitimement le considérer comme l’ultime testament de Sparklehorse même si ce dernier ne chante que sur un seul et unique morceau, Daddy’s Gone, sur lequel Mark Linkous lutine avec son énamouré, Nina Persson.
Viennent également se ramifier tout un éventail d’artistes, James Mercer du groupe The Shins, Wayne Coyne de The Flaming Lips, Gruff Rhys de Super Furry Animals, Jason Lytle de Grandaddy, Julian Casablancas de The Strokes, Black Francis des Pixies, Nina Persson de The Cardigans, Iggy Pop, Suzanne Vega, Vic Chesnutt, David Lynch et Scott Spillane de Neutral Milk Hotel et The Gerbils. Pour l’anecdote superfétatoire (enfin, pas tant que ça…), l’intitulé du disque fait vœu d’obédience "à La noche oscura del alma, titre donnéà un poème de Jean de la Croix, poète espagnol du XVIe siècle" (Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Dark_Night_of_the_Soul). Bien étrange cas que celui de Dark Night of the Souls. Formellement, ce disque épars s’approxime à une sorte d’agrégat entre la voix mirifique de Wayne Coyne pour amorcer les inimitiés (le superbe Revenge) et le sceau (prégnant) de David Lynch. Paradoxalement, nonobstant toute une salve de morceaux brillants (Just War), haletants (Little Girl), voire inquiétants (Grim Augury), Dark Night of the Soul n’est pas exempt de tout grief.
Personnellement, j’aurais même tendance à le répertorier parmi les albums les moins probants de Sparklehorse, probablement àéquité avec Vivadixiesubmarinetransmissionplot. Mais ne nous y trompons pas. A l’instar du premier album de Sparklehorse, Dark Night of the Soul reste un disque à la fois indicible et ésotérique, paradoxalement victime de ses propres louvoiements et atermoiements. Etait-il absolument opportun d’inviter autant de convives pour fomenter un tel disque ? Pas vraiment… Contre toute attente, ce ne sont pas les morceaux pop, parfois flamboyants (Everytime I’m With You) qui suscitent nos satisfécits et nos dithyrambes. Comme de coutume, avec Sparklehorse, ce sont les segmentations les plus psychasthéniques qui remportent l’unanimité des suffrages.
Rien que pour son final paroxystique, le tandem formé par Grim Augury et le même Dark Knight of the Soul (déjà stipulés dans cette chronique), le disque mérite qu’on s’y attarde. Mieux, il préfigure – avec amertume – l’avenir de Sparklehorse, celui qui recueillera, attristé, Mark Linkous sous les oraisons funèbres. Le compositeur éploré avait déjà conjecturé sur sa propre destinée via quelques notes de piano sur le monumental Dreamt For Light Years in the Belly of a Mountain. En résumé, que de sanglots, que de regrets…
Alice In Oliver
Chronique complémentaire de ClashDoherty :
Alice In Oliver a tellement tout dit dans sa chronique plus haut que je ne sais quoi rajouter. Si ce n'est que j'ignorais une bonne partie de l'histoire tournant autour de cet album de Sparklehorse fait en collaboration avec le producteur génial Danger Mouse. Je ne savais pas que la maison de disques de Sparklehorse l'avait mis de côté, ne voulant pas le sortir...une fois Mark Linkous (alias Sparklehorse, car ce groupe est en fait clairement une seule personne entourée de musiciens plutôt qu'un collectif) décédé, en 2010, par suicide (une balle dans le coeur), l'album est sorti. Il date, donc, de 2010, dure 45 minutes (pour 13 titres), et s'appelle du très entraînant, gai et follement léger titre de Dark Night Of The Soul, soit la nuit noire de l'âme, sortez les bouteilles de gaz de ville, fermez les fenêtre et bouchez les trous d'air, et on respire UN GRAND COUP. Non seulement ce disque a été fait en collaboration avec Danger Mouse, mais il a aussi été prétexte à une enculade de participations de stars du rock (mais pas seulement) : Flaming Lips, Frank Black des Pixies, Julian Casablancas des Strokes, Vic Chessnut, Iggy Pop, Jason Lytle, plus Suzanne Vega, plus...David Lynch. Le réalisateur de Lost Highway et de Blue Velvet, non seulement livre les photos (les très étranges, car très lynchiennes photos) du livret, mais chante sur deux titres. Et joue de la guitare et des claviers sur ces titres.
Autant le dire tout de suite, tout n'est pas d'un niveau à faire péter le feu d'artifice avec trois mois d'avance (ce qui, d'ailleurs, vu le jour qu'on est, serait difficile), la chanson avec Frank Black, Angel's Harp, et celle avec Iggy Pop, Pain, ne sont pas aussi grandioses que le reste. En fait, on aimerait, des fois, plus de Linkous et moins de célébrités, car pour un disque posthume de Linkous, il n'apparaît pas si souvent que ça, un comble ! Mais je chipote vraiment, car je ne suis pas loin de penser la même chose qu'Alice In Oliver, qui pense que c'est un des albums les plus importants des années 2000, un des meilleurs albums depuis 5 ans, si ce n'est LE. Oui, Dark Night Of The Soul est un excellent album, les chansons, bien souvent très sombres (Dark Night Of The Soul avec David Lynch, Revenge avec les Flaming Lips, Everytime I'm With You avec Jason Lytle), sont purement sublimes pour la grande majorité d'entre elles, la production est franchement démentielle bikoze Danger Mouse (Attack & Release et El Camino des Black Keys, plus une ou deux chansons de leur album Brothers, c'est lui ; pour ne citer que ça), les textes (qui, hélas, manquent à l'appel du 18 juin du livret) sont remarquables...
Au final, cet album un peu étrange, pas vraiment un disque de Sparklehorse (le dernier album du 'groupe' reste donc Dreamt For Light Years In The Belly Of A Mountain), est à conseiller si vous aimez les bizarreries et les ambiances dépressives, parfois expérimentales. Une ambiance très lynchienne tout du long, malgré que Lynch ne collabore pas à tout le disque. Les participations de Suzanne Vega, Flaming Lips, Vic Chessnutt et David Lynch sont parfaites, l'ambiance est assurée... Personnellement, je préfère Good Morning Spider, le deuxième opus de Sparklehorse (il m'en reste deux, des albums du 'groupe', àécouter, ceci dit), mais Dark Night Of The Soul, vraiment, est un des disques de 2010. Peut-être pas le meilleur album des 5 dernières années, mais un des meilleurs, oui.
Liste des titres:
Revenge (featuring The Flaming Lips)
Just War
Jaykub (featuring Jason Lytle)
Little Girl (featuring Julian Casablancas)
Angel's Harp (featuring Franck Black)
Pain (featuring Iggy Pop)
Star eyes (featuring David Lynch)
Everytime I'm with you (featuring Jason Lytle)
Insane Lullaby (featuring James Mercer)
Daddy's Gone (featuring Nina Persson § Mark Linkous)
The man who played God (featuring Suzanne Vega)
Grim Augury (featuring Vic Chessnut)
Dark Night of the Soul (featuring David Lynch)