Il y à des disques qui vous marquent, et en ce qui me concerne, celui-là en fait partie, sous sa pochette verte et photographique représentant, devant la maison de Galway (un des plus beaux coins d'Irlande, pays natal du groupe) où le disque fut enregistré, le groupe et ses nombreux musiciens d'appoint. Si je vous dit groupe de rock ou de pop/rock irlandais, vous me répondrez forcément, fatalement, tragiquement, U2. Certains citeront aussi les Cranberries ou (Dieu ait pitié de nous) les Corrs, et les plus aventureux n'hésiteront pas à citer Sinéad O'Connor et les Pogues. Combien citeraient les Waterboys ? Archétypes, au début de leur carrière (début des années 80), de ce que l'on surnommera, du titre d'une de leurs chansons, la big music (c'est à dire de la pop/rock très produite, au son écrasant et quasiment lyrique, surdéveloppé, sucré - U2, sur des albums comme October, War ou The Unforgettable Fire, ne faisait d'ailleurs pas autre chose), le groupe a su évoluer par la suite vers un folk-rock celtique. Le premier album, éponyme, est correct, pas immense mais très écoutable, et contient le petit hit A Girl Called Johnny, dédiéà Patti Smith. A Pagan Place, le suivant, est un classique de la big music, un album magistral offrant notamment Rags, Church Not Made With Hands, All The Things She Gave Me ou Red Army Blues. This Is The Sea, le troisième, marque le changement, on reste dans la pop chargée, mais le ton se fait plus recherché. Des morceaux comme The Whole Of The Moon, Don't Bang The Drums ou le morceau-titre assurent. En fait, tout l'album assure.
Enfin, le quatrième album (je dis 'enfin' pas dans le sens ou c'est le dernier, car ce n'est pas le cas, le groupe est toujours actif ; mais dans le sens où on arrive à un accomplissement avec ce quatrième album), sorti en 1988, celui que j'aborde aujourd'hui sous sa pochette verte, s'appelle Fisherman's Blues. On y trouve une bonne cinquantaine de minutes absolument immenses, quintessentielles, qui permettent de clamer haut et fort que l'on tient ici le sommet de l'oeuvre des Waterboys, groupe mené par le chanteur/guitariste Mike Scott. Ce mec possède une voix à laquelle il faut s'habituer, mais une fois que c'est fait, on se rend compte que seul lui pourrait aussi bien interpréter ces chansons. Certaines sont des reprises (Sweet Thing n'est autre que la chanson de Van Morrison, un autre Irlandais tiens, qui la chantait en 1968 sur son immense Astral Weeks), d'autres des originales. Toutes, même les petits intermèdes (Jimmy Hickey's Waltz, même pas crédité sur la pochette), sont parfaites. L'album se paie le luxe de démarrer par un doublé incroyable, Fisherman's Blues (qui sera un tube à l'époque) et We Will Not Be Lovers, et de s'achever sur une beauté inouïe à moitié narrée par un poète irlandais, Tomas McKeown, The Stolen Child. Rien que pour ces trois morceaux et la reprise de Van Morrison, Fisherman's Blues est essentiel et un des plus grands disques des années 80 à maintenant. Ces morceaux sont indescriptibles, avec leurs violons celtiques, leur bouzouki (une sorte de mandoline d'origine grecque, qui fut importée en Irlande il y à bien longtemps), leur chant habité... We Will Not Be Lovers est une sorte de longue jam de 7 minutes, chantée, sur laquelle le bouzouki, le violon (qui est clairement l'instrument majeur du morceau), les guitares électriques et acoustique et la rythmique, bref, tout le groupe, se livre(nt) à une sorte de duel, c'est à qui fera le plus de chambard. Une sorte de transe incroyable. Quand le morceau s'achève (on y entend faiblement Mike Scott dire one, two, three) sur un tutti du feu de Dieu, on jurerait que les amplis de la chaîne hi-fi fument. A noter que si le violon et le bouzouki sont les instruments majeurs de ce morceau, la basse n'est pas en reste.
Fisherman's Blues, le morceau-titre, lui, semble avoir été, peut-être indirectement et involontairement (je pense qu'il connaît ce groupe et cet album, sorti avant le sien et sa chanson), une influence pour Laurent Voulzy et son Rêve Du Pecheur, datant de 1992 et de son album Caché Derrière. Le thème est le même. Musicalement, c'est tout autre, ceci dit. Là encore (je parle de la chanson des Waterboys), on a affaire à du lourd dans le genre folk celtique, avec profusion de violon lacrymal. C'est juste magnifique. Le reste de l'album (World Party, l'immense And A Bang On The Ear, When Ye Go Away) n'est cependant absolument pas en reste, faisant de ce Fisherman's Blues un album tout simplement essentiel à tout amateur de musique folk, de rock celtique et de musique en général. On précisera juste qu'il vaut mieux se tourner vers la version Deluxe double CD, pour laquelle le son a été remastérisé (la première version CD souffrait d'une faible qualité audio, il fallait mettre le disque très fort), des morceaux rallongés (And A Bang On The Ear est dans sa version complète de 9 minutes) et, bien entendu, des bonus-tracks rajoutés. Les titres bonus ne rendent pas le disque supérieur, il est déjà parfait. C'est surtout pour la qualité sonore, excellente sur cette version Deluxe, qu'il faut se tourner vers elle. Et ne pas négliger aussi les deux précédents opus du groupe, qui forment avec Fisherman's Blues une sorte de trilogie parfaite. Bref, vous l'aurez compris, j'ai eu du mal à parler de l'album, mais comme je l'ai dit en introduction, ce disque m'a marqué au fer. Et dans des cas pareils, on a du mal à rester objectif !
Fisherman's Blues
We Will Not Be Lovers
Strange Boat
World Party
Sweet Thing
Jimmy Hickey's Waltz
And A Bang On The Ear
Has Anybody Here Seen Frank ?
When Will We Be Married ?
When Ye Go Away
Dunford's Fancy
The Stolen Child