En 2011, quand j'ai abordé ce disque pour la première fois, j'en parlais comme d'un des meilleurs albums de Nino Ferrer. Grossière connerie de ma part et que je rattrape de suite : non, définitivement non, Blanat n'est pas un des meilleurs albums de Nino. En revanche, c'est tout simplement son plus grand opus studio, et opus tout court, point barre. Ah mais. Ce disque a été enregistré en 1976 dans le château de Blanat, dans le Lot, et sortira en 1979 (entre temps, Nino sortira Véritables Variétés Verdâtres en 1977). A la base, Nino devait enregistrer ce disque avec les musiciens de...Gilbert Montagné (qui cosigne un des titres de l'album, et pas le plus pop, contrairement à ce que vous pourriez croire), mais entre les musikos de Montagné et lui, le courant passera moyennement bien, et au final, Nino les renverra gentiment chez leur pote et se tournera vers ceux avec qui il avait, en 1972, enregistré tout l'album Nino Ferrer & Leggs : Micky Finn (guitariste irlandais qui accompagnera les albums de Ferrer jusqu'au dernier en date, de 1993, La Désabusion), Ron Thomas, Keith Boyce. Ces trois musiciens anglophones forment un ancien groupe du nom de Leggs, d'où le nom de l'album qui a marqué leur collaboration première avec l'italo-français. Sous sa magnifique pochette représentant le château de Blanat (avec, dans le haut de pochette, une belle fresque peinte qui, ça ne m'étonnerait pas, se trouve peut-être sur un des murs intérieurs du château), Blanat offre 8 titres, pour un total de 42 minutes. Assez bien accueilli pr la presse en 1979, l'album n'en sera pas moins un bide commercial, la faute à l'absence de hits, de singles (mais pas de classiques : les fans de Nino savent bien qu'ici, des classiques, il y en à au moins 5 !).
De plus, quasiment tout, ici, est interprété dans la langue de Shakespeare, à l'exception de Scopa (en grande partie chanté en italien, avec un peu d'anglais aussi) et de L'Arbre Noir (je ne vous ferai pas l'affront de vous dire dans quelle langue est chanté ce titre). Et l'Introduction, pas vraiment instrumentale, mais les quelques paroles entendues sont surtout du scat, de l'impro. Une bonne partie des morceaux fait entre 4,30 et 6 minutes, et l'ambiance générale est assez rock (pas pop/rock, non : rock, à tendance bluesy), autrement dit, pas tout à fait le genre de chansons que la majorité des Français connaissaient de la part de Nino. Car là est le grand drame (il en sera amer toute sa vie, qu'il a interrompu à l'âge de 63 ans en se tirant une balle dans le coeur et dans un champ, près de chez lui, vers Montcuq) de la carrière de Nino : il a eu de gros succès publics dans les années 60 par le biais de chansonnettes rigolotes comme Le Téléfon, Mirza, Ho ! Hé ! Hein ! Bon !, Les Cornichons, Mao Et Moi, mais si on excepte par la suite deux-trois hits (La Maison Près De La Fontaine en 1971, Les Enfants De La Patrie la même année, Le Sud en 1975), rien. Pour le grand public, s'entend, car Nino a fait une foultitude de grandes chansons, de grands albums. Qui n'a jamais entendu L'Angleterre, Pour Oublier Qu'On S'Est Aimé, Les Morceaux De Fer, n'a rien entendu. Mais quand Nino passait à la TV, c'était soit pour chanter Le Sud, soit pour chanter une de ses anciennes chansons comiques qu'il a fini par plus ou moins renier sans les renier (quant au Sud, il a toujours estimé que la chanson n'était pas finie, qu'elle aurait pu être meilleure...). Jamais pour chanter un des titres de ce Blanat anthologique qui, pourtant, en guise d'écrin à classiques, se pose ==>là.
Pensez donc ! Si on excepte cette cheloue (mais réussie, ô combien !) Introduction, l'album offre de grands morceaux de rois : Little Lili (que Nino refera en français par la suite sur son album La Carmencita en 1980, qui renferme aussi une version française d'un autre titre de l'album, Michael And Jane - le morceau cosigné par Montagné, d'ailleurs), avec son riff terrible et son refrain que l'on retient dans le crâne pour le reste de la journée (Would you teach her ? Would you touch her ?), est une pure merveille bluesy. Bloody Flamenco, qui suit, est un peu particulier au début (un flamenco d'apparence normale, puis changement de rythme, et ça devient zarb'), mais c'est vraiment bon. Michael And Jane est une tuerie, difficile de se dire que c'est le chanteur des Sunlights Des Tropiques et de On Va S'Aimer qui a cosigné ce morceau... Boogie On, très boogie en effet (un riff terrible, ça sonne comme du Humble Pie des grands jours), chanson la plus courte avec 3,30 minutes, ouvrait avec efficacité une face B aussi bonne, si pas meilleure en fait, que la A. Scopa, qui suit, est parfois assez jazzy (le piano), et vraiment remarquable, puis Fallen Angels démonte tout, avec son ambiance heavy et pesante, un bon gros rock assez bluesy. L'Arbre Noir, dont le texte remonte assez loin (parmi les premiers jamais écrits par Nino, qui mettra donc du temps à enregistrer le morceau), achève le disque et l'auditeur avec force : d'abord 2 minutes et quelques de chant assez calme, à la Le Sud/La Maison Près De La Fontaine, sur un arbre noir visible de la fenêtre, puis la guitare déboule, un riff entêtant et simple, prétexte à un déluge guitaristique et instrumental (au bout des 2 minutes et quelques, plus de paroles du tout), un solo d'enfer signé Finn (Ferrer aussi joue de la guitare sur le disque, mais c'est Finn la lead), qui achève le disque avec élégance et puissance. Un des meilleurs morceaux de Ferrer, et le meilleur de Blanat. Comment voulez-vous, après ça, ne pas voir en cet album le meilleur du bonhomme ?
On notera, pour finir, que niveau CD, ce disque, comme pas mal d'albums de Nino, fut mal servi : il fut commercialisé sur un CD regroupant deux albums (sur un seul disque), Nino Ferrer & Leggs et, donc, Blanat (qualité sonore moyenne), et jamais sur un CD pour lui seul (Métronomie, de 1971, fut commercialisé de la même manière, en pack avec Véritables Variétés Verdâtres, et Nino And Radiah, de 1974, en pack avec Suite En Oeuf, de 1975 et la chanson Le Sud entre les deux). Depuis quelques semaines et la sortie d'un coffret de 14 CD regroupant tout ce que Nino Ferrer a enregistré (18 albums en comptant deux lives et des regroupements de singles), on peut trouver ces albums plus facilement qu'avant, toujours en pack de deux albums par CD, mais avec un meilleure qualité sonore (bien meilleure !). Si vous ne connaissez pas encore Blanat, vous aviez, autrefois, une excuse : on trouvait vraiment difficilement ce disque, même en vinyle (ou alors, fallait voir sur les sites Web spécialisés dans la revente d'occasions). Maintenant, pour une trentaine ou quarantaine d'euros (pour le moment, car par la suite, ça augmentera sans doute...), vous pouvez vous procurer toute l'intégrale de Ferrer ce qui fait vraiment un bon rapport qualité/prix, vu le niveau remarquable de beaucoup de ses oeuvres, quasiment toutes méconnues. Blanat en est incontestablement le point d'orgue, le magnum opus, mais passer à côté de Métronomie, Nino And Radiah (avec la version originale, en anglais, du Sud : South, aussi belle que l'originale), Nino Ferrer & Leggs, La Désabusion ou Suite En Oeuf serait vraiment dégueulasse. Je parlerai ou reparlerai ici prochainement, je pense, d'un ou de plusieurs de ces albums, ainsi que d'autres, qui sait (Ex Libris, par exemple), mais je voulais en priorité parler de Blanat, car je pense vraiment qu'on ne peut aimer la musique française (et notamment le rock français) sans connaître cet album qui gagne totalement àêtre connu et apprécié. Même mon père, pourtant pas un farouche amateur de rock français, a aimé, vous dire !
FACE A
Introduction
Little Lili
Bloody Flamenco
Michael And Jane
FACE B
Boogie On
Scopa
Fallen Angels
L'Arbre Noir