Difficile de parler d'un bonhomme comme Nick Cave. Ayant démarré sa carrière au début des années 80 dans un groupe de post-rock bien délirant et agressif du nom de The Birthday Party (si vous ne connaissez pas encore, je ne peux que vous conseiller l'écoute de Junkyard, 1982, leur sommet : c'est un chef d'oeuvre de rock bruitiste, comico-trash-gore, un truc de malade, le seul reproche réside dans sa production boueuse, mais ça en rajoute au côté trash, aussi), le mec, australien comme The Birthday Party (au sein duquel faisait déjà partie un certain Mick Harvey, qui suivra Cave durant de longues années), est une sorte de Jim Morrison gothique et encore plus timbré que le vrai. Voix d'outre-tombe, regard de fou, textes saisissants, Nick Cave fondera son propre groupe, les Bad Seeds ('mauvaises graines') en 1982, justement, The Birthday Party s'étant séparé peu après Junkyard. From Her To Eternity, le premier opus de Nick Cave & The Bad Seeds (1983), sous sa pochette fleurant bon l'enregistrement underground, renferme déjà des classiques : une reprise saisissante d'Avalanche, de Leonard Cohen (une des références, vocales et littérales, de Cave), Cabin Fever !, une reprise du In The Ghetto d'Elvis Presley, la chanson-titre (qui sera utilisée dans Les Ailes Du Désir de Wim Wenders quelques années plus tard, le groupe y apparaît justement), Wings Off Flies... L'écoute est difficile, les Bad Seeds étant, surtout à l'époque, peu accessibles. La suite de leur discographie est grosso modo du même acabit, des albums comme Henry's Dream, Tender Prey (avec le monumental The Mercy Seat, sans doute LE morceau de Nick Cave, une change anti-peine de de mort), Your Funeral...My Trial sont loin d'être des plus accessibles.
En 1994, Cave semble mettre de l'Evian dans son pinard : Let Love In, excellent album offrant notamment Red Right Hand, I Let Love In, Do You Love Me et le classique Loverman que Metallica reprendra en 1998, est un album plus rock traditionnel, plus classique, plus accessible au grand public. Deux ans plus tard, 1996 donc, il publie Murder Ballads, chef d'oeuvre absolu constitué de reprises (ou de chansons écrites par ses soins, d'après des airs plus anciens, traditionnels) de vieilles chansons abordant toutes le même sujet : la mort violente et les assassins. Parmi les chansons, une en duo avec celle avec qui il était à l'époque, PJ Harvey (Henry Lee), une autre en duo avec une compatriote, Kylie Minogue (Where The Wild Roses Grow) qui sera un tube, et un Stagger Lee terrifiant de violence... Nick Cave est au sommet. Un an plus tard, rongé par une rupture sentimentale, Nick sort un album qui va encore plus le mettre au sommet, un album considéré comme une de ses plus flagrantes réussites (parmi lesquelles son dernier album studio en date, Push The Sky Away en 2013, fait indéniablement partie) : The Boatman's Call. La photo de pochette en dit long : on n'est pas là pour se marrer. Produit par le groupe et par Flood (Depeche Mode, notamment), The Boatman's Call offre 12 chansons (pour 52 minutes) sombres comme la nuit. Ca démarre d'ailleurs en ambiance bec Butagaz dans un sac de plastique autour de la tête et on respire à fond avec le piano crépusculaire et mélancolique de Into My Arms. Nick Cave semble, soit apaisé, soit totalement dévasté ; quoi qu'il en soit, il semble à bout de forces. Ce n'est pas un reproche à lui faire, ce disque étant, pour lui, ce que Tonight's The Night est à Neil Young, voilà, j'ai trouvé exactement la comparaison qu'il fallait faire.
Le groupe est constitué de Mick Harvey (guitare), Blixa Bargeld (pareil), Warren Ellis (claviers, accordéon, violon...), Thomas Wydler (percussions, batterie), Martyn P. Casey (basse), Jim Sclavunos (percussions), Conway Savage (claviers). Cave joue du piano sur certains titres, comme Into My Arms (que Cave a chanté au cours des funérailles de son compatriote Michael Hutchence, le chanteur d'INXS), le grandiose Lime Tree Arbour, ou West Country Girl. Les paroles des chansons sont le plus souvent loin d'égaler la rigolarderie des chansons Disney : You were my mad little lover/In a world where everybody fuck everybody else over/You who are so far from me (Far From Me)... Les titres des chansons aussi ne sont pas très gais : People Ain't No Good, Where Do We Go But Nowhere ?, Far From Me, Idiot Prayer... Les chansons se suivent, souvent avec une ambiance fin de nuit, seul au piano (enfin, pas seul, le groupe joue, sauf sur Into My Arms), difficile de retenir une chanson parmi les onze autres au départ, The Boatman's Call ('l'appel du batelier') sonnant comme un tout, une entité globale, une cinquantaine de minutes sombres comme une marée noire, tristes comme un jour sans musique. C'est indéniablement un chef d'oeuvre, un des meilleurs albums d'un artiste torturé (certains disent gothique, j'ai moi-même utilisé ce terme plus haut pour le définir, mais Cave lui-même réfute ce terme), et quand Cave a enregistré, avec son groupe (mais sans Mick Harvey, chose alors unique dans l'histoire des Mauvaises Graines), Push The Sky Away, nul doute que The Boatman's Call a été une grosse influence, les deux albums partageant cette atmosphère triste, mélancolique et introspective, très accessible aussi, loin, très loin de la violence, de l'aggressivité coutumière des Bad Seeds (Loverman, sur Let Love In, ou bien l'album Tender Prey, sont de parfait représentants de cette brutalité faite musicale, que j'aime aussi chez le groupe, mais je dois dire que The Boatman's Call et Push The Sky Away me sont plus attachants, chers ; Murder Ballads, album alternant entre les deux styles, aussi). Bref, un authentique sommet (Brompton Oratory, There Is A Kingdom, Far From Me...), et le meilleur disque de 1997 !
Into My Arms
Lime Tree Arbour
People Ain't No Good
Brompton Oratory
There Is A Kingdom
(Are You) The One That I've Been Waiting For ?
Where Do We Go Now But Nowhere ?
West Country Girl
Black Hair
Idiot Prayer
Far From Me
Green Eyes