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Parfois des images d'Epinal débiles traînent aux basques de certains artistes : ainsi Steely Dan (qui pour la dernière fois de sa carrière mérite amplement le qualificatif de "groupe" : après cet album, Jeff "Skunk" Baxter, Denny Dias (guitares), et Jim Hodder (batterie) seront gentiment priés d'aller voir ailleurs si la cocaïne est moins chère, David Palmer ayant été débarqué durant la tournée "Countdown") ne serait préoccupé que par la perfection sonore et le raffinement musical.
Or l' album qui nous concerne ici est un véritable bijou de concision d'écriture et d'instrumentation. Les réveries d'Aja ou les solis incroyables de Larry Carlton sur Haîtian Divorce sont encore loin. 34 minutes pour 11 morceaux : un peu plus, et ils auraient pu concurrencer les Ramones ! Blague à part, Pretzel Logic est véritablement un album à part dans la discographie Steely Danienne (statut cependant partagé avec "Katy Lied"): coincé entre les deux premiers albums jazz-pop aux morceaux assez longs (Bodhisattva, Show-Biz Kids, Do It Again par exemple), et les futurs raffinements de The Royal Scam,Aja et Gaucho.
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Ici, les solis de guitare se font rares : seuls deux morceaux dégoulinent réellement de virtuosité guitaristique, le merveilleusement funky Night By Night, et le morceau-titre, espèce de blues à la Steely Dan parfaitement executé (comme toujours avec ces deux zozos). Il s'agit plutôt d'un déluge de chansons incroyablement touchantes et réussies qui me font considérer ce disque comme le Pet Sounds des années 70 : les thématiques abordées dans les textes ne sont pas si éloignées : peur de l'enfance, regret amoureux, méfiance...
Le feu d'artifice débute avec l'un des plus gros classiques du répertoire Fagen-Becker, Rikki Don't Lose That Number, un de leurs rares top ten. Une merveilleuse intro au piano assez brésilienne, puis chanson toute en sobriété, si vous n'accrochez pas, je ne peux plus rien pour vous ! Any Major Dude Will Tell You est une chanson qui est assez atypique pour du Steely Dan : le second degré semble absent, et on y ressent même de la compassion et uen certaine tendresse... Mais rassurez-vous, ça ne dure pas bien longtemps car le Barrytown qui suit est un modèle sur le thème "Casses-toi tu pues ! t'es pas d'chez nous...". Un titre qui aborde à merveille le racisme ordinaire et les préjugés idiots (I Can See By What You Carry That You Come From Barrytown).
Passons rapidement sur le rigolo mais anecdotique East St Louis Toodle-Oo où le groupe se fait plaisir. Parker's Band est une chanson quasi-rock très directe et fun, un domaine où Fagen et Becker ne s'aventurent que rarement. Il y'a comme d'habitude des personnages un peu louches qui se baladent dans les allées de l'album : le Buzz de Through With Buzz est soit dealer, soit proxo, "maybe he's a fairy"... et Charlie Freak du morceau du même nom, est un clochard qui revend son unique bien pour bouffer, et finit par mourir d'overdose...
La dimension "délirante" de l'album est aussi présente dans le très réussi pastiche country With A Gun, où les zicos prennent leur pied à caricaturer l'ambiance "western" (les paroles aussi...), et l'hommage à la soul sixties Monkey In Your Soul où on lit en filigrane le mode de vie des musiciens à L.A à l'époque (pas besoin de traduire ce que signifie "monkey" dans l'argot des zicos....).
Il serait cependant injuste de ne pas citer l'impressionnante armada de musiciens qui sont intervenus sur ce disque : c'est parti pour quelques noms : jim Gordon, Chuck Rainey, Dean Parks, Jeff Porcaro, Ernie Watts... On ne se refuse rien, et la tendance va aller en s'aggravant...
Un album cependant quasi-intimiste qui permet à l'auditeur de s'en faire un confident, pour peu que l'on aime les histoires "décalées"... Un véritable album de chevet, et bien que les standards Steelydaniens aient toujours été très élevés, le préféré de votre serviteur.
Chronique complémentaire de ClashDoherty :
Bon, cet article doit être un des rares à posséder non pas une, non pas deux, mais carrément trois chroniques. La première (tout en haut) fut écrite vers 2010 ou 2009 par Leslie Barsonsec, qui écrivait de temps en temps sur le blog et qui manque franchement, car ses textes, rares, étaient toujours remarquables. Celle en-dessous de la mienne (qui est une réécriture d'une ancienne chronique complémentaire que j'avais faite, au même endroit, sur l'article) est une chronique complémentaire de Koamae, qui lui aussi manque au blog et écrivait d'excellentes petites balles de temps en temps. Et la mienne, donc, que je refais en l'honneur de ce cycle sur Steely Dan. Voici le temps de parler de leur troisième opus, Pretzel Logic, sorti en 1974. Ce disque est important dans la discographie de Steely Dan, en celà qu'il sera leur dernier album en tant que groupe digne de ce nom. On y retrouve ceux qui ont accouché de Can't Buy A Thrill (1972) et Countdown To Ecstasy (1973), au complet (enfin, mis à part David Palmer, qui chantait sur une partie du premier album est quitta le groupe dans la foulée), à savoir Donald Fagen, Walter Becker, Jeff 'Skunk' Baxter, Denny Dias et Jim Hodder. Steely Dan en tant que groupe, tout simplement. Après ce disque, Steely Dan se résumera définitivement à Fagen et Becker, qui lourderont le reste du groupe (Dias, cependant, apparaît sur la grande partie de leurs albums suivants) afin de se concentrer sur cette imposante faune californienne qui les entoure : les musiciens de studio. Leurs albums suivants deviendront de vrais bottins mondains des meilleurs musiciens de studio (Carlton, Gadd, Marotta, Findley, McDonald, Porcaro, Feldman, j'en passe), la perfection musicale absolue dans le domaine de la pop jazzy.
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Pretzel Logic, en attendant, est dans la foulée de Countdown To Ecstasy, malgré un format assez différent. Le précédent opus était constitué de 8 titres plutôt étendus sur une quarantaine de minutes ; celui-ci, comme le dit Leslie dans sa chronique principale, dure 34 minutes, et offre 11 titres qu'on imagine donc assez courts et tassés (le plus long n'atteint pas les 5 minutes ; le plus court en fait moins de 2). La pochette est elle aussi assez différente de celles des deux précédents opus. On avait des teintes chamarrées ou pastel, des dessins ou peintures essentiellement, et des lettrages originaux. Ici, on a un lettrage des plus sobres, et une photo en noir & blanc représentant le chariot ambulant d'un vendeur de bretzels et de cacahuettes, à New York probablement, par temps enneigé. La pochette ouvrante montre, à l'intérieur, une photo, en format portrait, et assez étendue, du groupe, posant autour d'une statue d'un aigle, sans doute dans un square ou parc (Central Park ? Ailleurs ?). Mon exemplaire vinyle étant avec une sous-pochette lambda et sans insert, j'ignore s'il y avait un insert avec les paroles ou si elles étaient sur une sous-pochette, je pense que oui, mais je n'en suis pas sûr. Bon, l'album offre 11 titres, je l'ai dit, et parmi ces titres, quatre ou cinq font partie des plus légendaires du répertoire de Steely Dan. Mais tous, à une exception près (East St Louis Toodle-Oo, instrumental et reprise d'un morceau de Duke Ellington, qui achève bien sympathiquement la face A), témoignent du sens de l'humour ravagé et du cynisme absolu du duo Fagen (chant, claviers) et Becker (basse, parfois guitare). Par exemple, Charlie Freak parle d'un clochard camé que le narrateur connaît, narrateur qui se voit un jour proposer, par ce clochard, une bague, que le narrateur achète, afin que le SDF puisse, avec l'argent de la vente, s'acheter de la bouffe. Mais on retrouve peu de temps après le clochard, mort overdosé, et le narrateur se rend compte que c'est avec son argent à lui qu'il s'est payé sa dope. Le tout sur une mélodie basée sur une ligne de piano d'une tristesse mélancolique.
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Barrytown parle du racisme de l'ostracisme. Un homme, parce qu'il vient de cette ville, est rejeté par tous, traité de con, méprisé, harcelé, agressé, etc... La chanson, avec des paroles directes, et qui ne cherchent absolument pas à donner une explication ou une raison, traite de la différence, des préjugés. Through With Buzz, le morceau le plus court, parle d'un paumé, un type envahissant, une vraie plaie humaine, que le narrateur se coltine. Un mec qui est peut-être homo, que l'on soupçonne en tout cas d'être un beau parasite flirtant dans les eaux troubles de l'illégalité (drogue, arnaques). Rikki, Don't Lose That Number, qui s'ouvre sur une mélodie assez samba au piano (et offre, en son centre, un remarquable solo de guitare), est une chanson mémorable, une des plus connues du groupe, et parle d'une jeune femme qui quitte la ville, pour refaire sa vie ailleurs, mais à qui le narrateur donne son numéro de téléphone, l'enjoignant de l'appeler afin de rester en contact, tu n'auras pas envie d'appeler quelqu'un d'autre crois-moi. Ce morceau est la quintessence pop/rock steelydanienne absolue. Je ne dirais pas que c'est leur meilleur morceau, ça serait faire injure à d'autres, mais c'est un de leurs meilleurs, et un des sommets de l'album. Night By Night et le morceau-titre (lequel est le plus long de l'album) sont également de grandes, de majeures réussites. Et comment ne pas citer le sublime Any Major Dude Will Tell You, le très rock Monkey In Your Soul ? Au final, une seule chanson me gêne un peu, m'a toujours gêné et me gênera toujours : With A Gun, tentative country pasticheuse assez cocasse, mais plutôt saoûlante à la longue. Le morceau est un des plus courts de l'album, ça tombe bien. Mis à part cet unique titre, Pretzel Logic (titre d'album, et pochette, des plus étonnant(e)s) est un chef d'oeuvre, un des meilleurs albums du groupe et des années 70. Hautement recommandé, comme à peu près tout ce qui a été fait par le groupe !
Critique complémentaire de Koamae:
Je ne connaissais pas Steely Dan il y a peu encore. Je connaissais juste de réputation et de pochette leur triomphe commercial AJA de 1977. Mais, l'autre jour, laissant un commentaire sur le Top Musique de ClashDoherty concernant le morceau Night By Night, j'ai finalement décroché le gros lot; merci à Clash de m'avoir envoyé ce Pretzel Logic remarquable, qui m'a fait découvrir le groupe de Donald Fagen et Walter Becker. Bon, j'avoue, je ne connais pas encore bien l'album pour faire une critique générale, je ferai donc ici un track-by-track.
D'emblée, on s'en prend plein la gueule. Le disque démarre sur le meilleur morceau de l'album, Rikki Don't Lose That Number, chanson mélangeant habilement pop/jazz et juste une touche funkysante, ce qui permet à cette sublime chanson de cartonner dans les charts. C'est le plus gros succès de Steely Dan, et on comprend vraiment pourquoi. Night By Night est tout aussi efficace, dans la continuité du premier titre (d'ailleurs, l'homogènité de ce disque est tout à fait remarquable, Pretzel Logic est un album tout sauf inégal). On en arrive à une chouette de ballade, qui fait partir ailleurs. Any Major Dude Will Tell Tou, chanson assez calme, et si ce n'est pas le meilleur titre de l'album, ça reste quand même une très belle chanson. Barrytown est l'un de mes morceaux préférés du disque, un titre vraiment popisant, sans pour autant être trop popisant, une merveille illustrant vraiment bien l'album. Le seul titre vraiment mineur du disque est sans aucun doute East St-Louis Toodle-Oo, trop jazzy et anodin, c'est l'intrus de l'album, pour moi...
Parker's Band est dans la lignée de Barrytown, un titre simple mais vraiment efficace. Through With Buzz est très court, de ce fait il passe comme une lettre à la poste, sans déranger personne. Dommage, car ce morceau est très bon. Mais là, on en arrive à un autre grand sommet du disque... Le titre éponyme de l'album, Pretzel Logic. Titre blues tout à fait remarquable, on se croirait sur une quelconque route déserte des USA, en train de rouler tranquillement, avec un léger vent frais, mais pas trop frais quand même. Un titre immense, le meilleur du disque avec Rikki Don't Lose That Number. On revient à du délire, le même genre que East St-Louis Toodle-Oo, avec With A Gun. Et va savoir pourquoi, si je n'aime pas East St-Louis Toodle-Oo, eh bien j'aime beaucoup With A Gun. Titre vraiment efficace, je trouve, même si très délirant !
Charlie Freak est élégante, mais je n'en ferais pas tout un plat non plus. Par contre, l'album se termine sur un morceau vraiment bon, un de mes grands chouchous de l'album, Monkey In Your Soul, qui nous incite à remettre le disque au début encore et encore... Quoiqu'il en soit, j'ai vraiment aimé ce Pretzel Logic très attachant, une vraie petite perle, même si trop courte. Maintenant je sais ce qu'il me reste à faire: écouter les autres albums de Steely Dan, parce que Pretzel Logic est un chef d'oeuvre !
FACE A
Rikki Don't Lose That Number
Night By Night
Any Major Dude Will Tell You
Barrytown
East St-Louis Toodle-Oo
FACE B
Parker's Band
Through With Buzz
Pretzel Logic
With A Gun
Charlie Freak
Monkey In Your Soul