On va parler, aujourd'hui, d'un disque méconnu, très méconnu même. En fait, on peut même parler de disque oublié. Et de groupe vraiment oublié, connu exclusivement pour une seule chose : avoir servi de backing-band à John Lennon en 1972 (et à Yoko Ono de cette même année à 1973). Et encore, ce n'est connu que des fans des Beatles, car je pense que le commun des mortels n'aura vraiment jamais retenu ce groupe américain. Qui, pourtant, porte un nom qui rappelle une forte mémoire : Elephant's Memory. Ce groupe, fondéà New York en 1967 par Stan Bronstein (chant, instruments à vent) et Richard Frank (batterie, chant), et qui a un temps accueilli la chanteuse Carly Simon (en 1968, mais vraiment rapidement), s'est assez rapidement taillé une réputation de street band très politiquement engagé (à gauche). Leurs premiers albums (le premier date de 1969, le second en 1970, et avant ça ils ont collaboréà la bande-son du film Macadam Cowboy) se sont vendus aussi bien que Mein Kampfdans un kibboutz, et le groupe de Bronstein devait, certainement vivoter. En 1971/72, le couple-phare de la scène rock de l'époque, John Lennon et Yoko Ono, décident de s'installer à New York, définitivement. Très engagés à gauche à l'époque, fréquentant les mouvements dissidents tels que Black Panthers (ce qui entraînera des emmerdes avec le gouvernement de Nixon), le couple LennOno finit, dans Greenwich Village, par croiser la route des Elephant's Memory (le nom du groupe s'écrit aussi sans l'apostrophe), et leur propose de jouer sur leur futur nouvel album, Some Time In New York City (1972), double album très engagé politiquement.
L'album du couple, sur lequel Elephant's Memory est officiellement crédité, se ramasse une pile de critiques bien sévères (ce qui est en bonne partie mérité) et se vend vraiment moyennement, par rapport àImagine. Mais le couple ne faiblit pas. Lennon se produit, au Madison Square Garden, avec sa femme et le groupe, pour en venir en aide à un institut pour enfants handicapés mentaux, le résultat est sur Live In New York City, sorti en 1986. Et peu de temps après, le couple décide de produire le nouvel album d'Elephant's Memory, sorti donc en 1972 sous une pochette marquante (un cadavre d'éléphant, en partie décomposé, photo heureusement en noir & blanc ; au verso, un autre éléphant, bien vivant, et la glorieuse mention 'Produced by John & Yoko'), album sans titre, Elephant's Memory donc, sorti sur le label Apple Records. Sauf erreur, le seul album du groupe sorti sur le label Apple. Un album qui n'a jamais étéédité en CD et n'a pas été réédité en vinyle depuis 1973. Une rareté, donc, qui offre 10 titres, dont Power Boogie, sorti en single promotionnel. Vous ne connaissez pas cette chanson, c'est normal. Je ne veux pas dire qu'elle n'est pas bonne (dans l'ensemble, cet album est très réussi, sans être un joyau absolu), mais elle n'a pas vraiment l'étoffe d'un tube, aucune des chansons de l'album (dont le court Local Plastic Ono Band, en final, qui rappelle la relation entre le groupe et le couple LennOno) n'en a l'étoffe. Elephant's Memory est un groupe engagé, donc, et, aussi, fort peu avare en instruments à vent (saxophone, trombone, trompette), faisant du blues-rock psychédélique. Parfois, ça fonctionne parfaitement, comme sur Liberation Special, Gypsy Wolf ou Madness, ou Power Boogie, mais sur Baddest Of The Mean, la recette fait un peu gloubiboulga, surtout que ce morceau, le plus long de l'ensemble, dure plus de 8 minutes. Ce qui est clairement trop.
Et puis, le chant, partagé entre les différents membres (qui ont tous un look assez amusant, digne des musiciens de Zappa ou Captain Beefheart), n'est pas toujours à la hauteur. Certains chantent mieux que d'autres, et Stan Bronstein, le chanteur principal, est meilleur quand il souffle dans son saxo que quand il pousse les vocalises. En fait, Elephant's Memory est un groupe compétent, mais meilleur en tant que backing-band, purement instrumentaliste, accompagnateurs de Lennon ou Yoko (en 1973, Yoko enregistre Approximately Infinite Universe, double album absolument dantesque, et ils jouent dessus). Cet album de 1972, aujourd'hui assez oublié, est à découvrir et à inclure dans le plutôt large prisme beatlesien, aux côtés des albums de Badfinger, Splinter, Harry Nilsson, Billy Preston, tous ces artistes ou groupe qui furent soit produits par un des Beatles, ou collaborèrent avec eux, et qui restent essentiellement connus pour ça. Un album pour Beatlemaniaque, donc, qui le rangera pas loin des albums de leur groupe préféré, sans doute rangé avec les albums de Lennon et Yoko qui, ici, donc, produisent (très bonne production) le bouzin. Lennon joue un peu de guitare et pose des choeurs de ci de là, mais ça reste discret. Musicalement, la production sonne comme Some Time In New York City, ce qui est logique : on a affaire au même groupe. C'est sans doute meilleur que le double album de Lennon et Ono, si on y réfléchit bien, mais si seulement c'était chanté par Lennon plutôt que par le groupe...
FACE A
Liberation Special
Baddest Of The Mean
Cryin' Blacksheep Blues
Chuck 'n' Bo
FACE B
Gypsy Wolf
Madness
Life
Wind Ridge
Power Boogie
Local Plastic Ono Band