Gordon Sumner a démarré comme professeur, avant de faire de la musique. Sous le nom de scène de Sting (allusion apparemment aux pulls à rayures qu'il aimait porter, 'sting' signifiant 'dard', les pulls le faisaient ressembler à une abeille, donc ?), il a cofondé, avec le batteur Stewart Copeland et le guitariste Henri Padovani (et lui-même était au chant et à la basse), le groupe The Police. Padovani le Corse ne restera pas longtemps (sous cette formation, le groupe, alors punk, sort le single Fall Out) et est remplacé par Andy Summers. The Police sortira cinq albums studio entre 1978 et 1983. Des albums, c'est amusant d'ailleurs, d'un style différent, tous. Le premier est punk (essentiellement) ; le second, très reggae ; le troisième, franchement world et dub ; le quatrième, assez imprégné de ska, mais aussi de dark new-wave ; et le dernier, c'est de la pop/rock, tout simplement. Après ce dernier album (Synchronicity, une vraie réussite) enregistré, d'ailleurs, dans des conditions difficiles par un groupe qui ne se parlait quasiment plus, The Police splitte, une fois la tournée achevée. Sting (sollicité au cinéma dès 1979) va se lancer en solo. Entre 1984 et 1985, il enregistre, en divers studios (Le Studio à Morin Heights, au Québec, là où The Police a fait certains de leurs albums, et Blue Wave Studio, à la Barbade), son premier album solo, produit par Pete Smith et lui-même, et sorti en juin 1985 sous un titre qui laisse songeur : The Dream Of The Blue Turtles ("le rêve des tortues bleues"). Le titre, aussi celui d'un court instrumental très jazzy, viendrait d'un rêve qu'il aurait fait.
Délaissant sa basse pour la guitare et des synthétiseurs (il joue un peu de contrebasse sur un titre, ceci dit), Sting est entouré de musiciens de grand niveau : le bassiste Darryl Jones (qui, après le départ de Bill Wyman, jouera live avec les Rolling Stones), le batteur Omar Hakim, le claviériste Kenny Kirkland, le saxophoniste Brandford Marsalis (frangin de Wynton)... Long de 41 minutes, ce premier opus de Sting est assurément mon préféré de lui, et pourtant, il en a fait, de grands albums, le Dard, notamment entre ce disque et Ten Summoner's Tales (1993). Ayant obtenu un immense succès à sa sortie, The Dream Of The Blue Turtles, un des premiers albums que je me sois payé en vinyle quand j'ai commencéà les collectionner (avant même de fonder ce blog, il y à bien 15 ans), est un album rempli de classiques, de hits. En fait, pour faire simple, aucun morceau, sur les 10, et j'inclus dedans la minute (1,15 en fait) du morceau-titre instrumental, n'est ne serait-ce que moyen. Le climat de ce premier album, très pop-rock tout de même, est souvent très caribbéen (l'album a en partie été enregistréà la Barbade, je le rappelle) et jazzy (c'est surtout Marsalis qui apporte cette touche jazzy). On y trouve un petit régal calypso (Love Is The Seventh Wave), une merveille jazzy assez nocturne (Moon Over Bourbon Street, inspirée par Entretien Avec Un Vampire, le roman culte d'Anne Rice qui sera adapté au cinéma), une reprise pop/jazz sautillante, exubérante même, d'une ancienne chanson, à la base assez minimaliste, de The Police (Shadows In The Rain)...On y trouve une splendeur mélancolique sur les ravages de la guerre, Children's Crusade. On y trouve un We Work The Black Seam grandiose et minimaliste (mais le refrain file le frisson, la voix de Sting, il n'avait jamais aussi bien chanté) sur un sujet qui lui tient à coeur, l'écologie, la pollution, toujours d'actualité, plus que jamais. On y trouve un délicat et minimaliste Consider Me Gone.
Un certain goût pour l'incongru, le Sting, entre la pose, le décor, l'expression, la teinte de la photo...
On y trouve aussi, donc, de la pop. Pure. Non coupée. Comme les hits de l'album qui, tous, restent encore en mémoire en 2020 : If You Love Somebody Set Them Free, sorte de réponse que Sting fait à sa propre chanson au sein de The Police Every Breath You Take, dans laquelle il parlait du contrôle de l'autre, du harcèlement sournois. Là, il dit au contraire tu aimes quelqu'un ? Laisse-le vivre comme il l'entend, laisse-le respirer. Une chanson géniale, un peu jazzy grâce à ses cuivres, un peu soul aussi (les inoubliables choeurs). Autre tube mondial, Russians, sans doute une des chansons les plus fortes de Sting, chanson dont le clip me foutait les jetons enfant, sans parler de sa mélodie pesante inspirée par Prokofiev, Sting n'oublie d'ailleurs pas de le préciser dans les notes de pochette (allant même jusqu'à insérer la portée de la mélodie !). La chanson n'est plus tout à fait d'actualité, vu qu'il y est question de la Guerre Froide, de la rivalité dangereuse entre l'URSS et le monde occidental, la course à l'armement, la menace nucléaire, les déclarations choc de Khrouchtchev ("Nous allons vous enterrer tous"), celles de Reagan, Sting n'est pas dupe, il a peur que tôt ou tard, à moins que les Russes n'aiment suffisamment leurs enfants pour ne pas les envoyer se faire tuer, la situation ne s'envenime jusqu'au point de non-retour. Bien entendu, plus de Guerre Froide, plus d'URSS depuis 1991, mais on change les noms des pays et des personnalités, la chanson reste d'actualité. Elle est sublime. Fortress Around Your Heart fut un tube aussi, un peu moindre, mais c'est une grande chanson. Toutes les chansons de ce premier album, qui sera suivi d'une tournée prodigieuse illustrée l'année suivante par un double live (cet article étant le premier d'un cycle consacréà Sting, jusqu'à 1993 en tout cas, j'aborderai ce live prochainement, en réécriture comme pour les autres articles), toutes les chansons sont grandes, ici, de toute façon. On trouvera rarement des premiers albums aussi maîtrisés que celui-ci, et dire qu'en fait, ce n'est même pas son meilleur album...
FACE A
If You Love Somebody Set Them Free
Love Is The Seventh Wave
Russians
Children's Crusade
Shadows In The Rain
FACE B
We Work The Black Seam
Consider Me Gone
The Dream Of The Blue Turtles
Moon Over Bourbon Street
Fortress Around Your Heart